De ses différents apprêts et l'usage qu'on en fait.
Cette note fait partie d'une série de textes consacrés aux Arts & Métiers du XVIIIème. L'ouvrage de référence est « La Science des Personnes de Cour, d'Épée et de Robe », par Mrs de Chevigny, de Limiers et Massuet, édité en 1752. Transcrit et mis en page par Serge Busiau & France Apprill.
Ce que c'est que la Soie
La soie est un fil doux, extrêmement délié & lustré, qui est l'ouvrage d'une espèce de chenille, à laquelle on donne le nom de ver à soie.
Ce ver, dont nous ne donnerons pas la description, parce qu'il est connu de tout le monde, se renferme lorsqu'il veut changer de forme, dans une coque que l'on nomme cocon, & c'est de cette coque qu'on tire toutes les sortes de Soies que l'on met aujourd'hui en œuvre dans la plus grande partie de l'Europe, pour faire de belles étoffes servent & à la magnificence des riches & à la subsistance des ouvriers qui les font.
Longueur des fils & leurs couleurs & qualités
Les cocons ont leur perfection en dix jours, & c'est au bout de ce terme qu'il faut leur ôter des rameaux ou les vers les ont suspendus en s'y renfermant. Il y a des cocons dont le fil est si long, qu'il peut atteindre la longueur de deux lieues de France. Ils sont de différentes couleurs, dont les plus communes sont le jaune, l'orange, l'isabelle, & la couleur de chair. On ne dévide ordinairement que les cocons les plus parfaits : on réserve ceux qui sont doubles, trop faibles ou trop grossiers, pour être tirés en flottes & en écheveaux.
Machines pour dévider la Soie.
On se sert de deux machines pour le dévidage de la soie de dessus les cocons. L'une est un fourneau, chargé de son chaudron, & l'autre un dévidoir ou métier à tirer les soies. Le fileur & le dévideur, qui travaillent en même temps à cette machine, peuvent filer & dévider en un jour jusqu'à trois livres de soie.
Ce que c'est que le Fleuret.
On appelle fleuret, le peu de soie qui reste sur les cocons, & celle que l'on tire des cocons doubles, de ceux qui sont grossiers ou trop faibles, ou de ceux enfin qui ont été percés par les vers à soie.
Deux sortes de Fleuret
Il y a deux sortes de fleurets, dont les qualités sont bien différentes. Les fleurets fins, & qui ressemblent assez à la plus belle Soie, se font des bourres de tous les cocons, & des soies qu'on peut lever ou arracher de dessus les cocons qui n'ont pas été mis à l'eau. Cette bourre se file au fuseau ou au rouet, on en fait des soies propres à coudre, & même des étoffes qui ne sont pas sans lustre & sans beauté.
L'autre sorte de fleuret se fait de coques même, après les avoir bien lavées & cardées, pour être ensuite filées, comme les autres fleurets, au fuseau ou au rouet. Ces fleurets servent aux mêmes usages que les premiers, mais ils sont moins bons.
Divers apprêts de la Soie.
Le filage, le dévidage, le moulinage, & la teinture, sont les apprêts qu'on donne aux soies pour les rendre propres à être employées dans les manufactures des étoffes de soie. Le filage & le dévidage dont ont vient de parler n'est propre qu'à tirer la soie de dessus les cocons. Mais le filage & le dévidage, dont il est proprement ici question, est celui qui se fait des soies grèges & matasses, qui sont ou du crû du pays, ou qui se tirent des pays étrangers.
Le Filage.
Le filage se fait ou au fuseau ou au rouet. Pour le dévidage, on se sert ou de dévidoir à main, ou de dévidoir sur une machine, qui peut dévider plusieurs écheveaux ensemble. A l'égard du moulinage, on emploie un moulin composé de plusieurs pièces, qui peut mouliner deux ou trois cents bobines à la foi, & en faire autant d'écheveaux.
Soie grège, ouvrée, crue, trême, torse, &c.
La soie grège, gresse, ou graize, c'est de la soie telle qu'elle est tirée de dessus les cocons, avant que d'avoir reçu aucun apprêt. La soie ouvrée se nomme communément organcin. La soie crue est celle qu'on tire sans feu, & qu'on dévide sans la faire bouillir. Les soies crues du Levant sont très belles & très fines. La soie cuite est celle qu'on fait bouillir pour en faciliter le filage & le dévidage. Les soies trêmes sont des Soies qui servent à faire les trêmes de plusieurs étoffes. Les Soies plates sont des Soies non torses, qu'on prépare pour travailler en tapisseries à l'aiguille, en broderies & en quelques ouvrages. Les Soies torses sont celles qui ont leur filage, dévidage & moulinage. Les soies en bottes sont des organcins, qui après la teinture sont mis en bottes par les plieurs. Les soies en pantine sont plusieurs écheveaux de soie liés ensemble pour être envoyés à la teinture. Les soies en écheveau sont des soies dévidées sur des dévidoirs.
Soie de France.
Il n'y a que les provinces les plus méridionales de la France qui fassent la culture de la soie, qui plantent des mûriers, & en nourrissant les vers qui la produisent. Le Languedoc, année commune, recueille 1200 à 1500 quintaux de soie, & il s'y en fabrique à peu près la même quantité. Il se fait une assez grande récolte de soie dans le Dauphiné, surtout dans le Haut & le Bas Valentinois, & dans les Baronnies. On en recueille aussi dans la Provence & à Avignon.
De Sicile & d'Italie.
Il y a beaucoup de soie en Sicile; & les Florentins, les Génois & les Lucquois en font le principal négoce. Les soies qu'on tire d'Italie sont moitié soies grèges, & moitié soies apprêtées & ouvrées. Le Piémont, et particulièrement Turin, fournissent des soies ouvrées, étant défendu de les sortir grèges.
D'Espagne.
Toutes les soies d'Espagne sont des soies grèges & matasses, qu'on file, qu'on dévide, & qu'on mouline en France. Les plus belles soies torses sont faites de soies d'Espagne.
Du Levant
Les soies du Levant, qui sont toutes grèges & en matasses, se tirent de Tripoli, de Seyde, d'Alep, & d'autres Ports de cette échelle; des îles de Chypre & de Candie, & de quelques autres de l'Archipel. Le principal négoce de celles de Perse se fait à Smyrne.
De la Chine.
La Chine fournit une quantité prodigieuse de Soie, & il n'y en a guère moins au Japon. Les soies des états du Grand Mongole tirent presque toutes de Cazembazar, qui en peut fournir tous les ans jusqu'à 22000 balles, chaque balle pesant 100 livres. Ce sont les Hollandais qui font la plus grande partie de ce négoce.
L'usage de la Soie vient des Orientaux.
Les Orientaux, & surtout les perses, sont les premiers, à ce qu'on prétend, qui ayant fait usage de la soie. Les Romains la méprisèrent, & elle ne passa pas l'Asie Mineure & dans la Grèce, devenue province de leur Empire, que vers le tems de Justinien. Ce ne fut que vers l'an 1130, sous le règne d'un Roger de Sicile, qu'on vit dans cette île & dans la Calabre des ouvriers en soie, qui furent une partie du butin que le Prince rapporta d'Athènes, de Corinthe & de Thèbes, dont il fit la conquête dans son expédition de la Terre Sainte.
Manufactures de Soie à Tours.
Ce fut en 1470 que Louis XI, Roi de France, établit à Tours des Manufactures de Soie. Les premiers ouvriers qui y travaillèrent, y furent appelés de Gènes, de Venise, de Florence, & même de la Grèce; & en 1480 au mois d'octobre, ce Prince leur donna des lettres patentes qui contiennent de grands privilèges, dont une partie leur est encore conservée.
On comptait autrefois à Tours 700 moulins à dévider, mouliner, & préparer les soies; 8000 métiers pour en fabriquer des étoffes; 40000 personnes employées à dévider la soie, l'apprêter & à la fabriquer. Tout cela se trouve réduit à 70 moulins, à 1200 Métiers, & à 4000 personnes seulement qui subsistent de l'ouvrage des soies.
Beauté du travail des Soies de Lyon.
Le travail des soies de Lyon est ce qu'il y a de plus beau au Monde. Cette Ville a ce privilège, d'être l'entrepôt de toutes les soies étrangères qui entrent en France. C'est d'elle que les marchands de Paris, de Tours & d'autres villes du Royaume doivent les tirer, où du moins par où il sont obligés de les faire passer, après qu'elles sont entrées en France, soit par Marseille, pour la Mer, soit par le Pont de Beauvoisin pour la Terre.
Passage des Soies par Lyon.
Ce passage des soies par la Ville de Lyon, y a été établi ou confirmé par quantité d'édits, d'ordonnances, & d'arrêts du Conseil des Rois de France. François Ier lui accorda ce privilège en 1540; & sous le règne de Louis XIV on compte jusqu'à huit édits ou arrêts du conseil, rendus pour maintenir la Ville de Lyon dans son ancienne possession.
Combien il y en entre.
On compte que, lorsque la récolte des soies est raisonnable, il entre à Lyon environ 6000 balles, la balle évaluée à 160 livres pesant. De cet 6000 il y en a à peu près 1400 du Levant, 1600 de Sicile, 1500 du reste de l'Italie, 300 d'Espagne, & 1200 du Languedoc, de la Provence & du Dauphiné. Il y avait ci-devant à Lyon jusqu'à 1800 métiers travaillant de toutes sortes d'étoffes de soie, or & argent. C'est ce qui a été vérifié par un mémoire dressé par l'ordre du Roi même. Mais ce nombre est extrêmement diminué. Outre les manufactures pour le moulinage des soies, qui sont ou à Lyon ou dans les Faubourgs, il y en a quantité à St-Chaumond, à St-Etienne, à Virieux, & à Neuville, où se préparent principalement les soies destinées aux rubans, aux passements, aux tapisseries, aux broderies, & autres ouvrages semblables.
Magnificence des Fabriques de Lyon.
On n'a rien vu jusqu'à présent, de l'aveu même des étrangers, qui soit supérieur ou comparable au travail des Lyonnais, soit pour l'assortiment & le feu des couleurs, soit pour la légèreté du dessin; & chaque année fournissant des nouveautés heureuses, toute l'Europe s'adresse à eux, où ils y sont du moins demeurés en possession du premier rang, & continuent à désespérer leurs imitateurs.
Quelques liens :
Le SITE de Jean-Louis Morel sur la soie et les canuts, un travail exceptionnel !
Site de référence sur les métiers d'Antan qui a servit de base à cette note :
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