"Strasbourg, nous dit MAUGUE, est la plus belle ville de la Province et peut estre de l'Empire... On y compte quarante mille âmes et plus (dénombrement fait par ordre du Magistrat en 1709 Strasbourg comptait 32510 habitants - Hermann Notices historiques statistiques et littéraires sur la ville de Strasbourg).
Strasbourg est située à un quart de lieüe du Rhin au milieu d'une grande plaine qui paroit un jardin tant elle est bien cultivée... A cause des dénombrements des biens mobiliaires et immobiliaires, chaque bourgeois est obligé de faire tous les ans, à peine de confiscation don de son impôt (à la République Strasbourgeoise qui percevait sur le revenu des citoyens) [*] et en cas que le dénombrement ne se trouvât pas juste à la mort, les empêche d'entreprendre un gros trafic, soit parce qu'ils paient la taille sur le pied du dénombrement, soit qu'il ne soit pas permis à un marchand d'entreprendre luy seul un commerce, soit enfin que, n'étant pas nais (sic) avec une grande ambition, ils se bornent à devenir magistrats...
On trouve dans la Magistrature de Strasbourg, comme dans Rome, les consuls, les tribuns du peuple, des quindecinvirs, les tredecim, les aediles (édiles), les praeteurs, les questeurs, on voit la Chambre des treize, celle des quinze, celle des vingt un, un grand et petit Sénat (les consuls étaient les ammeistres, les préteurs des stettmeistres - quant aux tribuns du peuple et les questeurs ils n'ont jamais existé à Strasbourg mais il y avait des triumvirs).
Lorsqu'un bon commerçant a atteint quelcune des premières charges, il néglige fort son commerce et...l'artisan abandonne sa boutique, dès que la charge de conseiller luy a mis une espée au côté...
Les particularités de la ville sont : les greniers du Magistrat (une partie du grenier d'abondance, vaste bâtiment à 5 étages construit en 1441 existe encore du temps de MAUGUE. C'est le magasin de décors de théâtre) les moulins à bras (ces moulins à bras destinés à remplacer les moulins de la ville au cas où ceux-ci manqueraient d'eau se trouvaient au grenier d'abondance), le moulin des neuf tournans (moulin des Huit et non pas des neuf tournants, construit en 1449, après l'incursion des Armagnacs) qui est dans un bastion à côté de la Porte Blanche, un canon aux armes de la ville qu'on voit à l'arcenal (sic), magnifique pour sa grosseur, estant de 96 Livres de Basle (Bâle).
On l'appelle la belle Boulangere parcequ'il fut donné en 1519 par une Boulangère dont on voit, sur le canon, en bas-relief, la représentation, tenant à la main une espèce de pain tortillé, biscuit et crocan, qu'on nomme en allemand "brischte" (Bretstell = Bretzel)... Cette année 1726 elle a été fondue.
Parmi les raretés de la ville, on doit aussy y comprendre le Krutzmann statüe trouvée à la cathédrale... La bannière de la Pheningthurn... Puisque nous sommes dans le domaine de la nourriture, continuons sur ce que pensait MAUGUE de la nourriture des Alsaciens :
Outre que ces alimens participent du climat où ils croissent, ils sont par eux mesme grossiers et visqueux. Ces alimens consistent en épinars (le vendredi) en raves (le mardi) en navets tant cruds que cuits, en fèves (le mercredi) en pois, poires séchées au four et cuites dans un pot avec de la graisse ou du lard qu'on appelle "schneits" (Schnitz) en allemand (servies le lundi) en ris, en orge mondé (le jeudi) et en choux de toute espèce et principalement de ces sortes de gros choux pommés qu'ils font aigrir après les avoir fait hacher de la manière qu'il sera dit dans le chapitre des légumes.
Ces choux ainsi préparés, aigris et salés, qu'on appelle "surgrout" (servie le dimanche) sont les délices de la table et la principale nourriture du païs, et les lentilles (mangées le samedi).
Quelque dur, sec et peu succulent que soit le poisson qu'on appelle en Allemagne et en Hollande stocfiche, je retrancherois un des grands mets de l'Alsace, si je n'en parlois pas. C'est le seul aliment qui peut se disputer à la surgrout ! On l'appelle "stock" de l'allemand qui signifie bâton et "fich" un poisson. C'est une espèce de merluche, asellus ou salpa, dont la figure est longue et large; il est couvert de larges écailles de différentes couleurs avec des lignes jaunâtres. Son ventre est blanchâtre et sa teste petite et ronde, sa bouche est garnie de dents et il a les yeux jaunes, les sourcils verds. (sic) Il pèse environ deux livres.
On les fait sècher jusques à ce qu'ils sont durs comme du bois, de sorte que quand on veut les manger on est obligé, avant que de les cuire, de les battres avec un marteau pour les écharpir et les attendrir autant que des copeaux sont capables de le devenir. Du reste, les habitants de l'ALSACE ne sont pas friands de bonne chère : leurs viandes sont mal apprettées, leurs ragouts sans délicatesse, leur rôti sec. Ils mangent peu de viande, ils font une soupe d'une ou deux livres de boeuf qui se promène quelque temps dans un baquet d'eau bouillante, les herbes n'y cuisent pas, on se contente de les mettre sur le pain coupé, lorsque y verse le bouillon. S'ils mangent peu de bonnes viandes, en récompense ils en mangent beaucoup de mauvaise...
La viande fraiche de cochon ou salée fait leur principale nourriture pendant toute l'année qu'il est permis aux bouchers d'en tuer et aux charcutiers de faire des saucisses qu'ils aiment beaucoup et qu'ils mettent en quantité dans la surgrout, quand ils les ont fait sécher à la fumée; or on sçait que cette viande fournit un suc visqueux et gluant et propre à former des embarras dans les viscères et à épaissir les liqueurs; ainsi elle ne pourroit tout au plus convenir qu'aux gens de travail.
La quantité de poisson qu'on pesche dans les rivières et les estangs fait qu'ils en mangent beaucoup; ils ne boivent que du petit vin verjuté ou de la bière.
On pourroit peut être ajouter à touts ces alimens épaississans le pain blanc fait de levure de bière laquelle luy communique une viscosité qui le rend plus difficile à digérer; parce que la pâte fermentant trop promptement n'a pas le temps d' en estre bien penetrée... "
Tous ces extraits sont tirés de la Revue d'Alsace 1926 - Histoire naturelle de la province d'Alsace de Maugue sous la plume de J. Hatt - L'orthographe a été respectée - les gravures sont extraites du site Strasbourg historique et pittoresque Seyboth.
[*] NDLR = cet impôt s'appelait Stallgeld, parce qu'il était, à l'origine, levé sur les bourgeois qui ne fournissaient pas eux-mêmes des chevaux pour la cavalerie strasbourgeoise. Il est attesté dès le XVè siècle - "Chacun déclarait lui-même pour quelle somme il entendait payer... lorsqu'il était constaté par l'inventaire que le défunt s'était taxé à un taux trop bas, on exigeait le surplus seulement pour les 5 dernières années" (K.Th.EHEBERG, Verfassungs,-Verwaltungs, und Wirtschaftsgeschichte der Stadt Strassburg, Strasbourg Heitz 1899 in-4°, tome I, page 132) et (Hermann, Notices historiques etc.. page 194/195).
Note publiée sur le blog Assifarnoldinfos
Cartes postales : Ancarpost.org (collection privée de France Apprill)
Génial, merci !
Rédigé par : X | 06 octobre 2007 à 17:44