Deux cents pièces provenant de toutes les cours princières d’Europe évoquent la splendeur oubliée de la "grande argenterie" du Roi-Soleil. Trônes, tables, vaisselles, miroirs…
Qui se rend à Versailles ces jours-ci s’étonnera de trouver quelques changements à la traditionnelle visite du Grand Appartement. Les rideaux et les volets sont fermés et, dans l’enfilade des salons qui le constituent, murs et meubles flamboient, subtilement éclairés par lustres et torchères. De grandes vitrines pleines de trésors, des buffets dressés, des pyramides de fruits, des guirlandes de fleurs… Le roi reçoit. Vive le roi ! Et comme les courtisans du Grand Siècle, nous voici conviés à une de ces "soirées d’appartement" qui, trois fois par semaine, de dix-huit à vingt-deux heures, marquèrent les esprits par leur atmosphère particulière.
L'exposition événement de cet hiver, la première à prendre place dans les salons mêmes où recevait le roi, donne la réponse, offrant une évocation de la fameuse "grande argenterie" de Louis XIV. Comme tous l’avaient oublié, le château, à ses heures de gloire, fut garni d’un splendide mobilier en argent massif, d’un luxe inouï, aujourd’hui disparu puisque Louis XIV en ordonna la fonte en 1689 pour financer la guerre. À sa place, on découvre donc le mobilier d’autres cours princières car, à l’instar de Louis XIV, les plus fastueux souverains de l’ère baroque s’entourèrent du même luxe extravagant et ne détruisirent pas toujours ces objets.
Cette exposition exceptionnelle, qui réunit deux cents pièces, a été permise grâce aux prêts consentis notamment par Sa Majesté la reine du Danemark. « En 2003, cette dernière nous fit demander quand nous envisagions la présentation de notre exposition à Versailles, afin d’obtenir du parlement danois la dotation nécessaire à la restauration de son château de Rosenborg précisément à cette date », témoignent les commissaires de l’exposition, touchés par de tels égards. Ces derniers ont donc pu profiter de la fermeture au public de la première collection au monde de mobilier d’argent pour en présenter certaines pièces majeures. S’y ajoutent des prêts des châteaux de Windsor et de Chatsworth (les ducs de Devonshire), de Forchtenstein (les princes Esterházy), de Hohenzollern (les princes de Prusse) et de Marienburg (les princes de Hanovre). Sans oublier le trésor de la Voûte verte du château de Dresde et celui des tsars du Kremlin.
Si la grande vogue du mobilier d’argent fut lancée, en son temps, par Louis XIV, elle remonte, en réalité, au milieu du XVIe siècle et est due à des femmes ! À cette époque, une infante d’Espagne, lors de son mariage avec l’empereur d’Autriche, emmenait dans son trousseau une table d’argent ciselé, créant en Europe centrale, riche en mines de ce métal, un nouveau goût pour ce genre de création. Un siècle plus tard, Christine de Suède s’asseyait sur un trône d’argent. Et en France, Anne d’Autriche ornait son appartement du Louvre de ce type d’objets ; c’est là que le jeune Louis XIV aurait contracté son goût immodéré pour la chose…
Dans ses jeunes années, jouissant de nouvelles richesses grâce aux réformes de Colbert, il choisit, plutôt que de conserver son trésor dans des coffres-forts, de confier l’argent qui provenait du Pérou aux plus habiles orfèvres de la manufacture des Gobelins, des galeries du Louvre et de la corporation parisienne. À partir des dessins de Le Brun, premier peintre du roi, il fit fabriquer quelque deux cents pièces aussi extraordinaires par leurs poids et dimensions que par leur décor. Sur les 20 tonnes d’argent massif qu’elles demandèrent, figurent des tables de 350 kilos, des miroirs de 425 kilos, une balustrade pour isoler le lit royal de plus d’une tonne… mais aussi des buires (sortes d’aiguières) hautes comme un homme, des cuvettes pour rafraîchir les bouteilles grandes comme des baignoires, des vases à orangers, des grands plats avec brancards (également en argent) pour les transporter, des banquettes pour la Grande Galerie, des chenets, des luminaires…
Dans les premières années, une partie de ce mobilier circulait dans des étuis de cuir, de maison royale en maison royale, rehaussant de leur éclat les grands événements dynastiques ou politiques. En 1682, comme la Cour elle-même, l’ensemble se fixa définitivement à Versailles, participant au faste des cérémonies du Roi-Soleil, dont la réception des ambassadeurs du puissant roi du Siam, en 1686, marque le sommet. Pour cette occasion (dont Jacques Garcia, metteur en scène de l’exposition, offre une reconstitution), le trône d’argent avait été placé à l’extrémité de la galerie des Glaces, en haut d’une estrade de neuf marches, entouré de pièces et de candélabres précieux.
Grandeur et décadence ? Caprice de roi ? Trois ans plus tard, Louis XIV ordonnera la fonte de l’intégralité de ces objets pour soutenir la guerre contre l’Europe coalisée dans la ligue d’Augsbourg, enjoignant particuliers et évêques d’agir de même. En quelques mois, les fours de la Monnaie avaleront comme un ogre affamé toute l’orfèvrerie française du XVIIe siècle. Et le roi qui croyait en tirer six millions de livres (le trésor lui en avait coûté dix) n’en obtint que deux… Les autres souverains européens furent peut-être plus malins, leurs meubles tout aussi imposants que ceux de Versailles, n’étant pas en argent massif mais se composant, en fait, de plaques de ce métal travaillées au repoussé, fixées sur une structure de bois. La plupart étaient réalisés à Augsbourg, dans le sud de l’Allemagne, véritable capitale du mobilier d’argent pendant un siècle (de 1650 à 1760).
Du salon d’Hercule à la galerie des Glaces qui reconstitue la fameuse réception des ambassadeurs du Siam, on redécouvre donc, crescendo, à travers une dizaine de salles, l’histoire et la forme de ces meubles et objets d’argent. Ce sont tout d’abord les sources, avec une vingtaine de dessins attestant des commandes royales et cette vive tapisserie de La Visite aux Gobelins où l’on voit les orfèvres de la manufacture royale présenter leurs œuvres au roi et à Colbert. Dans le salon de Vénus, lieu où se prenait la collation, les aiguières, rafraîchissoirs, flacons et bassins venus de Dresde nous arrêtent, tandis que le salon de Diane se dédie aux fabuleuses créations des tsars. Les meubles du prince de Hanovre pour le salon de Mars ; les pièces anglaises pour le salon de Mercure, chambre de parade du roi pendant l’hiver ; le trésor danois pour le salon d’Apollon, ensemble au sein duquel figure un trône gardé par un lion en argent. Le roi des animaux avait été commandé en douze exemplaires par Frédéric III pour garder son trône prétendument sculpté dans de la corne de licorne (en réalité de la défense de narval). Trois seulement furent réalisés, car le roi mourut, emportant sa commande dans sa tombe. Sur cette histoire, on versera quelques larmes. De vif-argent, bien sûr…
Pour en savoir plus :
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§ Libération : Article de presse
§ Le Figaro : Article de presse
§ Expo : Château de Versailles, jusqu’au 9 mars 2008.
Tel : 01.30.83.78.00
Internet : www.chateauversailles.fr
Catalogue RMN, 320 pages (48 euros)
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