En cette période où l'on se penche sur mai 1968, ses faits et ses effets, nous avons choisi de publier en chapitres le récit d'un voyage de notre ami et associé Benoît Fichet.
Il avait 14 ans en 68 et avait humé l'air de la liberté. Arrivé à l'âge étudiant, il en a profité pour prendre le grand large, histoire de vérifier qu'après les pavés on pouvait trouver le sable du désert, les forêts équatoriales et des ailleurs passionnants. (France Apprill)
L'ALGERIE.
A) Premiers contacts
Le paysage est très joli, montagneux, avec des forêts comme celle de Digne. (En réalité : comme une forêt méditerranéenne) Il fait frais. La montée de la route est trop forte, alors le car observe une pause pour refroidir le moteur. Nous repartons pour la frontière. Je suis le seul passager à la franchir, avec tous les encouragements du chauffeur ! ? Au poste tunisien, venant d'Algérie, une Française est bloquée : avec son ami, ils n'ont pas de passeports (alors que l’Algérie et le Maroc demandent la CNI; valable en 1976)
Son copain est donc parti en voiture avec un laisser passer à l'ambassade de France à Tunis
J'arrive au Poste Algérien et je me fais copieusement fouiller. Il faut vider complètement le sac, puis en rigolant, le douanier me dit de me grouiller car le bus algérien (la correspondance) de Bou Chebka à Tebessa va partir (à moins que cela soit déjà fait !) sinon il faut attendre le bus du lendemain. Je n'ai jamais refait un sac aussi rapidement et en désordre, toujours est-il que ça fermait mieux ! En arrivant près du chauffeur algérien, celui-ci me dit en souriant" Je vous ai vu descendre du car tunisien, et je pensais bien que le douanier "jouerait" avec vous, alors je vous ai attendu".
Le car est sensationnel, on voit le goudron à travers tout le plancher, les sièges sont à l'état de carcasse tubulaire, le carter du moteur a disparu, ça permet d'atteindre le levier de vitesse qui est cassé etc... Sans parler des vitres ultra transparentes ! Pire que le tunisien.
J'arrive enfin à Tebessa, après ce voyage unique tant du point de vue du bus que du paysage très joli (couché de soleil splendide sur les Aurès.)
Tebessa est une charmante ville romaine, avec son marché. Le couscous est bon, la vie est douce, agréable pour le touriste que je suis. C'est plus décontracté et simple qu'en Tunisie, plus sympathique car rien n'est fait pour "l'accueil" du touriste et de son portefeuille, on ne risque pas de voir des hordes de touristes ventripotents, dégoulinant de dollars et de japoniaiseries, "faisant" l’Algérie en trois jours, hors transports, taxes d'aéroport comprises, boissons en supplément et se comportant comme des martiens dans le pays visité, se croyant dans un parc de loisirs!
Autrement dit, les gens transpirent le naturel vis à vis de moi et je ne suis pas perçu comme touriste à fric.
Je continue sur Constantine, toujours dans les Aurès. Constantine, à part la ville européenne, est chouette : rues très animées mais le cœur n'y est pas : je suis de fort mauvaise humeur car j'attendais une lettre d'une amie de Strasbourg et puis rien. J'en suis très contrarié et suis dégoûté, j'ai envie d'aller à Alger, de retourner en France : je n'ai plus envie de continuer et je ne vois plus l'utilité d'aller en Afrique Noire. Finalement, avec raison, je pense que ma déprime est passagère, et l'attrait "surnaturel" du désert du Sahara est plus puissant que tout le reste. C’est donc avec une confiance renouvelée que je décide de tenter la traversée du désert. En effet, je n’étais pas du tout certain de réussir cette traversée, mais la décision est maintenant prise.
Je prends le car jusqu'à Batna pour aller à Timgad où j'ai l'adresse d'une amie de ma sœur,
Biskra: Je n'ai aucun souvenir de Biskra et de ses paysages : c'est le début du désert rocailleux.
Touggourt est très joli, une petite ville toute blanche. Ici, je prends un taxi collectif pour Ouargla, il manque une personne pour faire le plein de passager et décoller. Après avoir vu le chauffeur chercher ou attendre en vain un passager, je me présente et négocie avantageusement le prix de la course !
Le pays est désert, mélange intime de rocailles et de sable ; la route est droite à en mourir, et soudain : C'est l'oasis de Ouargla. Le contraste est saisissant, chaque personne ou objet, même le plus insignifiant, prend une saveur nouvelle.
Il fait enfin chaud ! Je prends un super couscous et passe le reste de la journée à faire le tour de l'oasis. Pour dormir, ce n'est pas compliqué, il y a du sable partout, bien chaud, que demander de plus ? Avec pour seul éclairage un ciel bien étoilé, je choisis un coin où il me semble deviner des tas de sable qui me protégeront des regards depuis la route. Le matin, dans un demi-sommeil, j'entends un bruit ressemblant fort à un bulldozer ! En effet, il y en avait un qui s'avançait droit sur le tas de sable censé me protéger. Le chauffeur, ne se doutant pas un instant que quelqu'un pouvait dormir, avançait tranquillement. En un éclair de seconde, je saisis un vêtement et le jette au loin pour me signaler au chauffeur du bull. Celui-ci, à la vue du vêtement propulsé en l'air, arrête son engin. En me voyant, il fait des yeux grands comme des soucoupes et nous voilà partis dans une franche rigolade ! Pour une première nuit à la belle étoile dans le désert, c'était réussi !
Départ pour Ghardaïa vers onze heures :
Le camarade soleil est plein d'ardeur. Je me poste à la sortie de l'oasis, en direction de Ghardaïa pour le stop. Heureusement, un camion semi-remorque climatisé, insonorisé, avec chauffeur sympa, me charge. Le chauffeur me parle de ce qu'il a fait pendant la guerre d'Algérie (guerre d'indépendance de 1959.), de ses faits d'arme et puis de ses boulots passionnants en France Ensuite, fatigué, il me confie le volant de son trente-huit tonnes ! en plein désert certes, mais ça fait de l'effet ! surtout quand on ne sait pas conduire une voiture. (En effet je n'avais aucun permis, et naturellement, je m'en serai bien garder de faire çà en France) J'étais assis devant lui, il a passé les huit vitesses et ensuite je tenais le volant et l’accélérateur à plus de cent à l'heure pendant trois quart d'heure. Le chauffeur m'a félicité pour la tenue de route et la régularité, ce qui n'est pas facile avec une route étroite. De plus, sur quatre-vingts kilomètres, il n'y a pas un seul virage ! Et quand on croise une voiture ? Depuis trois jours de route nous n'avons croisé personne..véridique...
Alors pourquoi le chauffeur du PL me dit : "Freine et arrête le camion car une voiture arrive ?" J'ai beau écarquiller les yeux, rien à l'horizon, pas de nuage de poussière, rien. J'arrête le camion : cinq minutes plus tard, une voiture nous croisait...
Bonjour,
Lire votre épisode algérois fut un plaisir.
Ce pays, l'Algérie, cette ville, Constantine où je suis née ; dommage que vous fussiez contrarié... en la traversant.
Une Recommandation de lecture :
"Une éducation algérienne
De la révolution à la décennie noire"
Auteur-Mme Wassyla TAMZALI.
Salutations,
Rédigé par : Meriam Rekaik | 13 juin 2008 à 17:20
Bonjour
Merci pour vos commentaires!
C'est vrai qu'il m'a fallu rebondir moralement à Constantine, mais au moins j'ai appris dans ma tête de 20 ans qu'il ne fallait jamais se laisser abattre par des évènements. Pour beaucoup de raisons, au delà de la découverte des gens et du pays, ce voyage fut très formateur.
Benoît
Rédigé par : Fichet Benoit | 13 juin 2008 à 20:28
Mr Fichet,
J'étais au théâtre hier soir - une pièce moderne sur l'Algérie de la dernière décennie.
Vous avez visité ce pays au bon moment bien avant la décadence !!
Quelques bons souvenirs sont revenus, les récits de mon père et aussi une pensée pour vos écrits.
Bon dimanche,
Rédigé par : Meriam R | 23 novembre 2008 à 13:36