En cette période où l'on se penche sur mai 1968, ses faits et ses effets, nous avons choisi de publier en chapitres le récit d'un voyage de notre ami et associé Benoît Fichet.
Il avait 14 ans en 68 et avait humé l'air de la liberté. Arrivé à l'âge étudiant, il en a profité pour prendre le grand large, histoire de vérifier qu'après les pavés on pouvait trouver le sable du désert, les forêts équatoriales et des ailleurs passionnants. (France Apprill)
C'est beau...mais ça casse aussi!
Le lendemain, tôt levé, le paysage se révèle être d’une splendeur inouïe ! L’appel à toujours plus de solitude est pressante : je m’éloigne des voitures vers les montagnes, de façon à ce que les tâches claires des voitures ne soient plus qu’à l’horizon : une distance d’un à deux kilomètres. Si j’avais perdu de vue les voitures, je serai en train de sécher au soleil car pour retourner sur ses pas : tintin !
Pendant une demi-heure, je suis tout seul au monde sur terre, comme un astronaute qui débarque sur une lune quelconque. Comme ma mère le croyait, je n’ai pas fait de métaphysique dans le désert, je voulais simplement être seul, une solitude bien impressionnante, bien que mon cordon ombilical (la voiture) ne soit qu'à deux kilomètres.
Dans le silence absolu, j’entendais le bruit de mon coeur ainsi que le bruit du sang coulant dans les artères ! A cet instant, je pris conscience que j’existais et que j’avais de la valeur. De retour aux voitures, une ‘scène’ devait confirmer cette profonde intuition bouleversante : Un chauffeur, m’apercevant de retour, m’a passé un de ces ‘savons’ dont on se souvient toute la vie : ne me voyant plus, il croyait que j’avais disparu, perdu à jamais. Si quelqu’un, ne me connaissant pas, est capable d’une telle colère...
Nous repartons cette fois ci sur la piste : un gros semi-remorque nous précède, nous fonçons à quatre-vingts à l’heure sur la tôle ondulée, six cents kilomètres de piste épouvantable, une tôle profonde et large (de bosse en bosse) de cinquante centimètres. Cela fait un bruit terrible et une poussière non moins terrible et dense.
Nous commençons à rentrer dans les défilés, la terre est brune, le sable a disparu, et nous croisons quelques voitures : cinq ou six, voire sept par jour. La circulation est exceptionnellement dense ! car la route Adrar, Gao, Niamey est fermée, ainsi que celle du Sahara Espagnol : Tout le trafic passe par Tam.
Petit à petit, la montagne se noircit et les défilés se resserrent, on prend de l’altitude. A cet endroit, il n’y a pas de piste parallèle pour reposer les voitures : la route est étroite. Dans les virages, la tôle est plus prononcée, la route bien penchée. Si on va trop vite, il faut freiner, passer à cinquante km/heure, alors on perd le contrôle de la voiture qui part de travers ! Toujours est-il que les pneus commencent à crever, mais en quantité raisonnable ! Les montagnes sont de hauteurs moyennes, un peu comme les Vosges mais en plus acérées et abruptes.
Nous avons toujours des ennuis de carbu bouché, des bougies foutues. Nous passons le fort français de Tadjemout et nous arrivons à Arak, par les gorges. Il y a une toute petite oasis avec une fontaine artésienne. Nous faisons le plein d’eau, et hésitons à plonger dans la piscine d’à coté (à cause de la boue !) J’oublie de dire que cette fontaine est petite, minuscule. L’oasis abrite un touareg, sa femme et ses enfants, son troupeau. Heureusement que je ne suis pas cardiaque, car quand j’ai vu sa femme et ses filles, non voilées comme tout Touareg... nos miss européennes peuvent se rhabiller ! Quant aux hommes, ils ont une stature imposante, digne, droite, grande. Ils sont drapés dans des habits bleu, toujours impeccables. Ils sont économes de leurs gestes, calmes, pas un mot au-dessus de l’autre. Pour nous accueillir, il prépare du thé: il est très fort et très chôôô ! On en profite pour prendre des nouvelles de telle ou telle voiture qu’on savait devant nous. On apprend ainsi qu’il y a deux Anglais en vélo de course ! ... Tous les potins de la piste… Nous lui apprenons aussi qu’il y a une deux chevaux qui devrait arriver... avec un châssis plié à l’avant... L’homme sourit, il est habitué à tous ces dingues de la piste. Il a déjà vu un homme qui traversait le désert en traînant une brouette avec ses affaires ! ...Il avait beau être suivi par un camion, en cas de défaillance physique de l’homme, mais faut le faire quand même, être bien motivé (Par le fabricant de brouette).
En attendant, nous cherchons deux vélos ! Nous continuons donc vers le Sud : les montagnes sont bien noires, les vallées s’élargissent, et il y a des pistes parallèles. Ca permet de reposer les amortisseurs. Soudain le choc, les roues arrières se bloquent. Je descends de la berline. Apparemment rien de spécial. Le chauffeur embraye : niet niet. Il passe la marche arrière : rien non plus ! Ha? Bof ! Je regarde les roues arrières d’un peu plus près : Ho surprise ! Elles ont reculé de dix centimètres et frottent la tôle du garde-boue ! Les deux autres voitures qui sont devant nous reviennent au bout de cinq minutes : En effet, elles n’ont pas vu notre arrêt brusque à cause des nuages de poussière (J’avoue ici un bref instant de panique à l’idée de sécher au soleil sur une route désertique, dans un paysage tout aussi désertique, mais l’expérience faite près de la petite maison me revînt vite à l’esprit.) Nous regardons sous la voiture : le spectacle est désolant : l’arbre de transmission est à peu près parterre ! Les goujons du cardan sont cassés ! Quand on est à 780 km d’une part, à 380 km d’autre part, d’un garage... avec une telle panne ! On aurait pu aller à Tam à deux voitures, chercher un garagiste pour rapatrier la voiture : ça prendrait bien trois jours ! Dans ce cas, il aurait fallu que quelqu’un reste près de la voiture pour empêcher les Algériens de passage de démonter une porte, un moteur, un radiateur, des roues etc.
Au sommet de la butte de cailloux, près de la voiture, (10 minutes de montée, droit devant, sous un soleil de plomb) je voyais les autres vallées, parallèles à la nôtre, plus basses et plus profondes. Le fond était couvert de sable. Avec un peu d’imagination, et beaucoup de soleil sur la tête, on pouvait voir les traces d’un cours d’eau. Ici, j’ai regretté d’être en stop avec des gens relativement pressés, tellement j’étais fasciné par la beauté du paysage !
Je me réjouis à chaque fois de vous lire..d'autant plus que ces paysages là je ne les ai pas encore respirés.
Vous avez le sens du détail !!
Dans le prochain épisode, je vous imagine bien, entouré d'une oasis avec une collation des plus sympathiques, des dattes et du thé menthe bien sucré, et un repos bien mérité !!
A lire dans le prochain épisode...
Rédigé par : Meriam | 18 juillet 2008 à 18:14
Voilà, le suivant arrive! mais ce n'est encore pas l'oasis!
Rédigé par : Benoît Fichet | 18 juillet 2008 à 18:50