Régulièrement, en association avec le magazine-web Histoire-Généalogie, je viendrai sur Geneablog vous relater un entretien avec une personnalité marquante de la généalogie, l'histoire, et la vie de nos ancêtres.
Thierry Sabot
Aujourd'hui, il s'agit de Pierrick Chuto, qui vient de publier un ouvrage sur son ancêtre « Le maître de Guengat », dont voici un résumé :
Dans la Basse-Bretagne du XIXe siècle, Auguste Chuto, descendant de journaliers misérables, fils d’un boulanger illettré, a la chance d’avoir une mère qui lui apprend à lire et à écrire.
D’un caractère dur et autoritaire, il se maintient pendant vingt-cinq ans à la tête de la commune de Guengat, bourg rural situé à deux lieues de Quimper. Ne tolérant pas que l’on s’oppose à lui, il use et abuse de son pouvoir et combat avec obstination les recteurs, les instituteurs et tous ceux qui osent penser différemment.
L’histoire de cet homme qui fut propriétaire-cultivateur, meunier, maire et empêcheur de tourner en rond, est racontée avec passion par son arrière-arrière-petit-fils. Elle repose exclusivement sur des faits réels relatés dans des documents d’archives étudiés pour la première fois.
Cette plongée au cœur d’un bourg et de ses habitants, en un siècle méconnu et pourtant proche, intéressera les amateurs d’histoire régionale et les généalogistes curieux de connaître les us et coutumes de leurs ancêtres.
1. Pierrick Chuto, pouvez-vous présenter et nous décrire votre parcours en histoire et généalogie ?
. J’ai toujours été attiré par l’histoire de France. Depuis plus de 40 ans, je l’étudie méthodiquement et chronologiquement avec une préférence pour l’Ancien régime. J’ai eu du mal à m’intéresser à la Révolution, peu attiré par cette période. L’histoire de la Bretagne me passionne depuis que pour les besoins du livre, j’ai lu de nombreux ouvrages sur cette région et principalement sur la Basse-Bretagne.
Mon intérêt pour la généalogie est bien plus tardif. Je me suis inscrit au centre généalogique du Finistère il y a seulement cinq ans. Mon père ne m’a guère parlé de nos ancêtres et je suis parti de presque rien. La recherche n’en a été que plus captivante.
2. Comment vous est venue l’idée d’écrire l’histoire de votre ancêtre, Auguste Chuto, maire de Guengat ?
. J’ignorais qu’un de mes ancêtres avait été maire de Guengat. En étudiant les registres d’état civil de la commune, j’ai découvert à partir de 1846 la signature de « Chuto, maire ». J’ai demandé à la mairie de Guengat le prénom de cet édile et j’ai acquis la conviction qu’il s’agissait de mon arrière-arrière grand-père. A partir de ce moment, j’ai commencé à fouiller tout ce qui concernait la vie de la commune et j’ai été de surprises en surprises en levant le voile pendant 4 ans sur les faits et gestes de ce drôle de bonhomme. Je n’ai sûrement pas encore tout trouvé, certains actes ayant été établis sous seings privés. Ainsi le cadastre indique qu’il est propriétaire en 1865 d’un grand bois sur la commune. N’ayant pas trouvé l’acte de vente malgré des recherches poussées chez tous les notaires du canton et de Quimper, j’ai préféré ne pas en parler dans le livre. Plus je dénichais des affaires le concernant, et plus j’étais heureux. Ayant amassé suffisamment de documents, j’ai décidé il ya deux ans d’écrire sa vie et celle de ses parents, qui étaient, aussi, assez particuliers…
3. Pouvez-vous expliquer votre démarche de travail ?
. Travaillant à l’époque, je n’avais que mon lundi après midi pour aller dans les mairies, puis aux archives départementales du Finistère. Pendant que ma femme complétait l’arbre généalogique, j’épluchais les registres notariaux du canton, les registres de délibération du conseil municipal depuis 1832, les énormes registres judiciaires pour trouver des affaires concernant Guengat et ensuite consulter les relations des procès. Les recensements étudiés de nombreuses fois, les cadastres si difficiles à comprendre, les archives militaires, relatant les conseils de révision, ont fait mon bonheur.
Afin de connaître avec précision le temps qu’il faisait, j’ai étudié les rapports des préfets sur l’agriculture pendant plus de 30 ans. J’ai aussi épluché les rapports politiques, les brouillons rédigés par les services du préfet, si riches en enseignements, les bulletins administratifs reprenant toutes les directives gouvernementales et préfectorales, les enquêtes sur les épidémies.
Aux archives de l’évêché, j’ai fouillé dans les papiers des paroisses, ainsi que les correspondances entre les recteurs et le vicaire général, les dossiers concernant les recteurs et les vicaires et le bulletin hebdomadaire du diocèse.
Je suis allé aux archives de Brest pour photographier des registres d’écrou, aux archives nationales de Paris pour chercher les raisons de la destitution d’un maire de Guengat en 1815, aux archives départementales d’Ille-et-Vilaine pour mieux connaître les origines de la famille.
Mes yeux ne supportant pas les journaux récemment numérisés, j’ai dû me contenter de parcourir méthodiquement les rares journaux papier entre 1850 et 1882 et principalement l’organe de presse bien pensant et ultra-catholique dans lequel mon ancêtre républicain s’attirait les foudres de l’unique journaliste-éditeur-imprimeur (l’Impartial du Finistère).
Les dossiers sur tous les instituteurs ayant exercé à Guengat m’ont apporté beaucoup d’éléments intéressants. J’ai terminé par les documents sur les routes départementales, vicinales, les chemins de fer, les cours d’eau etc…
Nombre de ces dossiers ont été consultés de nombreuses fois. J’ai pris beaucoup de notes, photographié de nombreux documents essentiels et construit, lundi après lundi, la trame du livre. J’ai dû rebâtir des chapitres après avoir trouvé de nouveaux éléments.
Je n’oublierai pas aussi la consultation des bulletins des sociétés savantes du Finistère et de la Bretagne, les livres écrits sur la région et sur la vie quotidienne au XVIIIe et XIXe siècle, les thèses estudiantines.
4. Au cours de vos recherches sur Guengat, avez-vous croisé la route d'un autre personnage connu de cette ville : Jean-Marie Déguignet, petit paysan qui est né Guengat en 1834.
. Après avoir fait de mauvaises affaires, ses parents cultivateurs ont quitté Guengat et habité un taudis dans la rue la plus misérable de Quimper, peu après la naissance de Jean-Marie. Mon ancêtre a dû connaître les parents, mais sans aucune preuve, j’ai préféré ignorer cette naissance.
5. Quel regard portez-vous aujourd'hui sur vos ancêtres présentés dans votre ouvrage ?
. J’aurais pu édulcorer mon récit, oublier certains cotés sombres de mes aïeux, passer sous silence des faits peu glorieux. J’ai préféré ne rien cacher.
Au fil des pages, je ne juge pas ouvertement mes ancêtres. On peut déceler parfois mon agacement ou ma réprobation. J’ai été élevé assez strictement par des parents très croyants, et je n’ai pas éprouvé de sympathie envers ce despote. Des proches me reprochent d’être trop dur et qu’il faut se replonger dans le contexte de l’époque pour comprendre ses agissements. C’est fort possible. Le lecteur jugera.
Je me suis aussi demandé pourquoi j’avais, parfois, un caractère aussi tranché et un premier abord un peu difficile. Si les membres des structures professionnelles où j’ai exercé des responsabilités pendant vingt ans, lisent ce livre, ils comprendront.
6. Quels sont vos projets actuels ?
. Au bout de 14 mois d’écriture journalière, régulièrement soutenu par mon frère Jacques et par des amis à qui j’envoyais mon texte, ainsi que par mon fils Mathieu qui a fait la mise en page, j’ai remis la clé USB à l’imprimeur. J’ai alors ressenti un grand vide et l’angoisse qu’il y ait une ou plusieurs erreurs dans les 1000 exemplaires. Depuis la réception, c’est le bonheur. L’espérance est très enrichissante, pas du point de vue pécuniaire, car l’investissement est important et risqué. On ne fait pas fortune avec ce genre de littérature. L’accueil est excellent. Je passe de nombreuses heures à aller le placer dans les librairies (en dépôt vente), à faire des dédicaces, à assurer la promotion, soutenu par le beau site construit par mon cousin Gilbert Nihouarn, à répondre à des lecteurs conquis le plus souvent et à faire des expéditions.
Dans quelques semaines, je vais retourner aux archives afin de pouvoir écrire le deuxième volume. J’ai déjà récolté de nombreux documents sur mon grand-père, petit fils du "maître de Guengat", un personnage également haut en couleurs. J’ai déjà eu le plaisir de raconter une période de sa vie sur Histoire genealogie.com en décembre 2008.
En conclusion, je ne peux que conseiller à ceux qui ont des aïeux, disons quelque peu originaux, de se lancer dans l’aventure. C’est très prenant, assez contraignant, mais quelle satisfaction de savoir que vous allez être lu par des centaines de personnes.
Chuto.fr : Site de l'auteur
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