Le 10 janvier 1883 en l'Hôtel de ville de Saverne, le maire, Eugène MEYER, procédait au mariage de sa nièce Marie Madeleine FEYLER de Neuwiller, avec le capitaine René KAUFFEISEN du 92° Régiment d'Infanterie, originaire de Sélestat.
Ce fait, en lui-même anodin, devait avoir en son temps un certain retentissement en Alsace, c'est que pour la première fois depuis les évènements de 1870, des militaires français allaient faire leur apparition dans la rue. En effet, avec l'autorisation du Maréchal de Manteufel, Statthalter d'Alsace-Lorraine, le marié et ses deux témoins, les Capitaines ERARD du Génie et LAIR du 92° R.I. devaient participer en grand uniforme à la cérémonie.
Comment une telle faveur avait-elle pu être obtenue? Voilà à ce sujet, le récit qui m'a été conté...
Dans les couloirs du Reichstag...
Un cousin du marié le député Charles GRAD, de Turkheim, déambulait un certain jour dans les couloirs du Reichstag lorsqu'il rencontra le Chancelier von Bismarck. Les deux hommes qui avaient
déjà croisé le fer en maintes rencontres sur le terrain parlementaire se dévisageaient sans aménité lorsque le Chancelier s'avançant vers le député l'apostropha ainsi:
<<-Pourquoi donc ne me demandez-vous jamais aucune faveur ?? Je serais charmé de vous l'accorder>>
<<-Mais Excellence, c'est que cela m'obligerait à de la gratitude>>
<<-Du tout, vous pourrez continuer à me traiter en adversaire acharné..>>
<<-Alors, j'accepte de grand coeur>>.
Quelques mois passèrent, et un beau matin Charles GRAD se fait annoncer chez le terrible Chancelier qui était bien loin de penser à son imprudente promesse.
<<-Que désire Monsieur le Député GRAD?>>.
<<-Excellence, je connais en Alsace une jeune fille qui est à la veille d'épouser un Capitaine d'Infanterie, mon cousin.>>.
<<-Ah! reprend Bismarck, je vois que vous vous ralliez peu à peu, mes compliments à cette jeune fille, c'est le second exemple d'une pareille union, vite, le nom de cet officier!!>>
<<-Pardon, Excellence, mais il s'agit d'un officier capitaine dans l'armée française!>>
<<-Teufel/Diable, rugit Bismarck, drôle d'idée de m'en faire part. Mais que voulez-vous donc?>>
<<-Me souvenant de l'aimable promesse de votre Excellence, je vous prie de bien vouloir autoriser le futur et ses deux témoins officiers à venir à Saverne en uniforme et en armes...>>
Il y eu un lourd silence, puis:
<<-Vous avez ma parole, Monsieur le Député, mais il y a à Saverne une forte garnison, et si nos officiers se rencontrent avec des officiers français, ...>>
<<-Ils se salueront courtoisement. Excellence, du moins, je réponds des Français>>.
<<-Enfin nous verrons, mais s'il y a une bagarre, vous me paierez çà!>>
A Saverne
C'est ainsi que le 10 janvier 1883, dans la matinée, un nombreux cortège se formait au rez-de-chaussée de la maison habitée par M. Xavier MEYER, avocat, oncle de la mariée, à l'angle de la rue des Frères et de la rue de l'église. La nouvelle de la présence d'officiers français en uniforme s'était répandue telle une trainée de poudre, et la foule se pressait, sur les trottoirs. Les établissements Goldenberg du Zornhof avaient donné congé à leur personnel. Comme on peut le penser, les écoliers et les collégiens étaient au premier rang, bien qu'il y eut classe. Je tiens de l'un d'eux, aujourd'hui doyen du Barreau de Saverne, que cette escapade lui valut ainsi qu'à ses camarades une heure de retenue qu'il n'a pas oublié.
Un journal local rapporte:
« Sur tout le parcours, les croisées et jusqu'aux lucarnes étaient garnies. A l'intérieur de l'église paroissiale la foule était tout aussi compacte. Que de larmes ont coulé à la vue de ces uniformes qui rappelaient à beaucoup d'assistants de si chers souvenir. ».
La cérémonie religieuse que présidait un ami du marié, Monsieur le chanoine MATHIS, se déroula sous les ogives de la chapelle de la Vierge dont les dalles recouvrent les sépultures de deux cardinaux de l'illustre famille des ROHAN, les bâtisseurs du magnifique château, qu'à l'instar de Versailles, ils s'étaient fait construire dans le site enchanteur de Saverne. Dans une allocution du style classique, l'orateur formula à l'adresse des jeunes époux les voeux de circonstance. Un recul de soixante-dix ans autorise l'auteur de ces lignes à en certifier l'heureuse réalisation. La sortie de l'église s'effectua au milieu de la même affluence, et le cortège se dirigea rue des Frères où un banquet de soixante couverts organisé par l'oncle MEYER réunit tous les invités.
(Anecdocte rapportée par mon grand père René Kauffeisen en 1950)
Félicitations pour cet article, je découvre avec plaisir un pan de l'histoire de l'Alsace et de la Lorraine.
Anne Gomez
Rédigé par : Gomez Anne | 25 décembre 2006 à 19:25
Vraiment belle analyse de l'histoire.
Rédigé par : mariage | 25 décembre 2006 à 20:41