Cette note fait partie d'une série de textes consacrés aux Arts & Métiers du XVIIIème. L'ouvrage de référence est « La Science des Personnes de Cour, d'Épée et de Robe », par Mrs de Chevigny, de Limiers et Massuet, édité en 1752. Transcrit et mis en page par Serge Busiau & France Apprill.
Ce que c'est que la Toile.
La toile est une sorte de tissu fait de fils entrelacés, dont les uns, qu'on appelle fils de chaîne, s'étendent en longueur, & les autres, qu'on nomme fils de trême, sont placés de travers. Les matières qu'on emploi le plus ordinairement pour la fabrique de la toile, sont le chanvre, le lin, & le coton; & on donne le nom de tisserands aux ouvriers qui la fabriquent.
Et le Chanvre.
Le chanvre est une plante que l'on sème tous les ans, & qui s'élève en peu de temps en une espèce d'arbrisseau. Sa tige est creuse, & son écorce n'est qu'un tissu de filaments joints ensembles par une substance molle, & facile à se pourrir. Le chènevis, qui est la graine, sert de nourriture à plusieurs sortes d'oiseaux.
Chanvre mâle & femelle.
On distingue le chanvre en mâle & femelle. Celui qu'on appelle ordinairement le mâle, à seul l'avantage de produire une graine propre à perpétuer l'espèce : mais la emelle a celui de donner une filasse bien plus douce & et bien plus fine. Le chanvre mâle est plus gros et robuste que le chanvre femelle.
Filasse.
C'est de la tige & des branches de cette plante qu'on tire une filasse, dont on fait du fil, ou pour la couture, ou pour être travaillé en toile, en ouvrages de corderies, &c. La marque de maturité du chanvre, est le jaune que prennent ses feuilles.
Apprêts du Chanvre.
Lorsque le chanvre est sec, on le fait rouir, c'est-à-dire, qu'on le met dans de l'eau dormante pour en faire pourrir les feuilles & l'écorce. En quelques endroits on l'étend sur les prés, on le tourne à mesure qu'il sèche, on le lève lorsque la feuille est tombée, on le frotte, on le met en paquet, & on l'enferme.
Pour briser le chanvre, on se sert d'un instrument qu'on nomme en Normandie une Brie, en Picardie une brayoire, en d'autres provinces une maque, ou une macachoire. Quand le chanvre est haut & fort, au lieu de l'écraser à la brie, on le taille à la main; ce qui se fait en le brisant d'abord dessus le doigt, à 7 ou 8 pouces de sa racine, & en continuant ainsi d'en séparer la filasse de la chénevote, jusqu'à l'autre extrémité. C'est ordinairement le chanvre mâle qu'on taille; & le chanvre taillé est toujours le plus beau.
Après cette première façon, on échanvre la filasse avec un échanvroir, pour ôter les plus gros morceaux de Chénevote qui y sont restés. L'échanvroir, qu'on nomme aussi un serin, est une espèce de Battoir de bois, qu'on passe à plusieurs reprises sur la filasse, qu'on tient suspendue d'une main, le long d'une planche dressée presque perpendiculairement. En Normandie cela s'appelle escousser le chanvre; & on donne à l'instrument le nom d'escoussoir.
Le filassier fait le reste de l'ouvrage. Cet ouvrier, après avoir roulé le chanvre en gros paquets, le bat sur un billot, ensuite il le peigne, en le faisant passer successivement sur deux espèces de grandes cardes de fer, dont l'une est plus fine que l'autre, afin d'en tirer les différentes sortes de chanvre proprement dit, la filasse, le courtou, & l'étoupe. Les trois premiers se filent; l'autre ne sert ordinairement qu'à faire des bouchons de bouteilles, des serpillières, du lumignon, & cette sorte de mèche qui est d'un si grand usage dans le service de l'Artillerie.
Le Fil.
Le Fil est, en général, un corps long & délié, qu'on fait avec quelques matières molles & douces, en les toutillant ensemble avec un rouet, un fuseau, ou quelque autre instrument propre à les tordre, & à les unir en un seul tissu. Mais ce qu'on appelle proprement fil, s'entend ordinairement de celui qui est fait avec de la filasse de chanvre ou de lin, & qui sert à coudre & à fabriquer de la toile & diverses sortes d'ouvrages de lingerie.
Différentes sortes de Fils.
Les fils se distinguent particulièrement ou par le nombre de tours qu'on leur donne, ou par leur finesse. On fabrique à Lille en Flandre, des fils qui ont 48 tours. Les fils de Malines sont les plus beaux & les plus fins qui se fasse. Il y en a dont la finesse est si grande, qu'ils échappent presque à la vue; on en emploie quantité aux dentelles, qu'on nomme dentelles de Malines; Les fils de Hollande sont des fils plats & blancs qui se tirent de Dort. Ils ont 48 tours, & on s'en sert ordinairement pour broder des Mousseline. La Hollande fournit encore d'autre fils dont on se sert à faire des picots aux Points & aux Dentelles. Il y a en France & en d'autres pays quantité de différentes sortes de fils qui servent à divers usages suivant leurs qualité. Celui qu'on appelle fil retors, est un fil composé de plusieurs fils déjà filés, qu'on unit ensemble, en les tordant ou avec un rouet, ou sur le fuseau. Ce fil ne sert guère qu'à la couture.
Description du Lin.
Le Lin dont on fait aussi du fil & des toiles, est une plante qui n'a ordinairement qu'une seule tige menue, ronde, creuse en dedans, & de la hauteur d'environ deux pieds. Son écorce est remplie de filets à peu près comme le Chanvre. Sa graine a un grand nombre de propriétés, & on en tire, ainsi que de la graine de Navette ou de Chenevi, une sorte d'huile dont on fait le négoce très considérable.
Façons qu'on lui donne.
Les façons qu'on donne au Lin pour sa culture, les apprêts qu'il faut pour être réduit en Filasse, & les instruments qu'on emploie pour cela, sont à peu près semblables à ce qui se pratique pour le chanvre.
La Toile.
Les toiles se font sur un métier à deux marches par le moyen de la navette, de même que les draps, les étamines, & autres semblables étoffes non croisées. Il n'y a guère de marchandises dont le commerce soit plus étendu que celui des toiles, particulièrement de celles du lin, de chanvre & de coton.
L'on appelle toile écrue, celle dont le fil n'a pas blanchi. Les toiles blanches sont celle qu'on a fait blanchir, à force de les arroser sur le pré, & de les faire passer par diverses lessives. On nomme toiles ouvrées celles sur lesquelles il y a divers ouvrages, façons & figures.
On fait à Harlem un grand commerce de toiles, qu'on appelle ordinairement toiles de Hollande. On les envoie à Harlem en écru des endroits de leur fabrique, pour y recevoir dans le Printemps ce beau blanc que chacun admire. Ces toiles, dont la matière est le Lin, sont très serrées, très unies, & très fermes, quoique fort fines. Les plus estimées le sont dans la province de Frise.
Le Coton & ses différentes sortes.
Le coton est une sorte de laine blanche que produit un arbre auquel on donne le nom de cotonnier; Il y a autant de différentes sortes de coton qu'il y a d'espèces de cotonnier. On connaît dix ou douze espèces de cotonniers, qui diffèrent dans leur grandeur, & dans la figure de leurs feuilles. Les plus grands cotonniers sont des arbres aussi hauts & aussi gros que des sapins, dont le coton est très fin & surpasse la soie, mais il est si court qu'il n'est pas propre à filer. Les bons cotonniers sont des arbustes qui ne croissent qu'à la hauteur de deux ou trois pieds, ou quelquefois de quatre. La zone torride est le climat propre aux cotonniers; mais on cultive, en deçà du Tropique & dans le Levant, ceux qui donnent le meilleur Coton à filer. Il vient de Marseille de toutes les échelles du Levant jusqu'à 30 espèces de coton.
Toiles de Coton.
L'Europe tire des Indes Orientales quantité de toiles de coton, dont les qualités sont différentes, de même que leurs noms. Les mousselines sont aussi des espèces de toiles de coton, qui viennent par pareillement des Indes Orientales, & que l'on distingue particulièrement des autres toiles par le nom qu'on leur donne.
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