Une précédente note, celle du 17 avril dernier et consacrée à Joseph Verdi, a présenté les raisons pour lesquelles l'acte de naissance du compositeur italien en Toscane a été rédigé en langue française, et pourquoi Verdi était, dans les faits, né - "citoyen français" - dans l'Empire français.
Il est vrai que si les territoires d'Etat ont été progressivement façonnés depuis les grands empires de l'Antiquité et jusqu'aux mouvements d'unification du XIXème siècle (Risorgimento en Italie, Confédération de l'Allemagne du Nord puis Empire allemand de 1870), leur évolution s'est poursuivie au XXème siècle et ces modifications, généralement conséquences de conflits ayant - en particulier - agité la scène européenne, se sont poursuivies jusqu'à l'époque contemporaine.
A la suite de ces évolutions, l'appartenance nationale des individus directement concernés par les différentes cessions ou annexions s'en est de ce fait retrouvée modifée. Ainsi la naissance de Verdi fut-elle "française", or qui douterait aujourd'hui qu'il était "italien" ?
De même, qui douterait de nos jours :
- que le héros de l'unification italienne au service de Victor Emmanuel II (campagnes de 1848, 1849 et 1859 contre l'Autriche, 1860 contre Naples et les Deux Siciles, ...), Guiseppe Garibaldi, était bien italien ?
(alors qu'il [re]devint de fait français en 1860) ;
- que les maréchaux du Premier Empire Masséna (duc de Rivoli) et Ney (duc d'Elchingen) étaient bien français ?
(alors que le premier était né sardo-piémontais et le redevint en 1814 et que le second, né français, devint en 1815 natif d'une province allemande) ;
- que l'écrivain Verlaine était français ?
(alors que, devenant automatiquement allemand à l'issue de la guerre franco-allemande de 1871 car natif de Metz en Lorraine annexée, il eut à opter pour conserver sa nationalité française) ;
- que le Père de l'Europe, Alcide De Gasperi, était italien ?
(alors qu'il était né austro-hongrois en 1881 à Pieve Tesino dans la province du Trentin, alors territoire de l'Empire d'Autriche-Hongrie) ;
- que les autres grands européens Robert Schuman, Pierre Pflimlin, et Louise Weiss étaient également français ?
(alors que Robert Schuman était né allemand à Luxembourg en 1886, d'un père lorrain alors allemand mais né français, et d'une mère née luxembourgeoise mais devenue allemande par leur mariage, que Pierre Pflimlin était né allemand à Roubaix en 1907, de parents alsaciens alors allemand et enfants d'ex-français, et que Louise Weiss était née française à Arras en 1893 d'un père alsacien ayant opté).
Dans le même ordre d'idée :
- l'Empereur des Francs Charlemagne était "français" (alors que, pourtant, sa capitale était à Aachen / Aix-la-Chapelle dans l'Allemagne actuelle) ;
- le grand savant Copernic était "allemand" (alors qu'il serait polonais de souche aujourd'hui) ;
- le philosophe Immanuel Kant était également "allemand" (alors que, né à Königsberg en Prusse-Orientale, il serait russe de Kaliningrad aujourd'hui) ;
- l'Empereur des Français Napoléon Ier était français (né à Ajaccio le 15 août 1769, un après la proclamation par Louis XV à Versailles, le 15 août 1768, de la réunion à la France de la Corse, acquise à Gênes en mai).
On retrouve nos propres exemples du même type au cours de nos recherches, ainsi mon sosa Jean-Pierre Grange, né dans les Etats Sardes de la Maison de Savoie en 1756 à Valloire (Maurienne), émigra enfant vers Vincey dans le duché souverain de Lorraine - où son père, veuf en quittant la Savoie, se remarie en février 1763 avec une Lorraine. Avec le décès du roi Stanislas en 1766, la Lorraine ducale devint française. En novembre 1782, le savoyard Jean Pierre Grange épouse la lorraine Marie Rose Finot à Gugney-aux-Aulx (Lorraine). Une décennie plus tard, la France révolutionnaire annexe la Savoie à la République, et jusqu'en 1814 son Valloire d'origine fait partie du département français du Mont-Blanc. Lorsqu'il décède à Vincey (Vosges) en 1840, la Maurienne est à nouveau sardo-piémontaise ; vingt ans plus tard, les provinces de la Savoie historique étaient définitivement rattachées à la France.
Il est toutefois évident que le sentiment d'appartenance nationale à un Etat particulier couvrait autrefois une dimension différente, de même que le concept de citoyenneté n'a émergé qu'à partir de la Révolution française.
Notes :
- Joseph Garibaldi est né français, de parents génois, sous le Premier Empire à Nice alors annexé depuis les conquêtes de la République, fut réintégré de fait dans la "nationalité sarde" en 1814 à la suite de la restitution du comté de Nice et des provinces de Savoie aux Etats Sardes de la Maison de Savoie - ou Piémont-Sardaigne -, recouvra finalement la nationalité française ipso facto en 1860 lors de la cession du Circondario de Nizza Marittima (Comté de Nice) à la France du Second Empire, participa à la campagne de 1870 (Guerre franco-allemande) en commandant 10 000 tirailleurs français de l'Armée des Vosges, remporta la bataille de Dijon (seul commandant français à avoir obtenu une victoire contre les Prussiens) et fut peu après élu à l'Assemblée Nationale française par la Côte d'Or, l'ancienne Seine, Alger et les Alpes Maritimes, élection par la suite invalidée en raison de ses idées séparatistes niçoises)
- Masséna était né sardo-piémontais à Nice bien avant l'annexion à la France révolutionnaire et redevint sujet sarde en 1815, avant que le roi Louis XVIII ne le naturalise définitivement français à la Restauration
- Ney, né français avant la Révolution à Sarrelouis, ville française depuis sa création par Louis XIV, devint techniquement "allemand" (officiellement : prussien) en 1815 suite à la perte du nord de l'ancien département de la Moselle - condamné à mort lors de la Seconde Restauration pour sa fidélité à Napoléon Ier au cours des Cent-Jours, il refusa cependant d'échapper à cette sentence sous le prétexte de ne plus être citoyen français)
- Alcide De Gasperi fit ses études à Vienne, fut député du Südtyrol au Parlement impérial autrichien, devint ressortissant de nationalité italienne en 1919 [le Trentin étant cédé à l'Italie], fut ensuite député au Parlement italien, déchu de son mandat et emprisonné sous Mussolini, puis bibliothécaire de la Bibliothèque vaticane, enfin en 1944 Ministre des Affaires Étrangères d'Italie et Président du Conseil, puis suite à la déchéance du roi Chef provisoire de l'État, Président du Conseil et Régent en exercice (1945 à 1946), Président du Conseil, Ministre de l'Intérieur, des Affaires Étrangères (1946 à 1953), et décéda dans le Trentin italien peu après sa nomination comme Président des instances européennes en 1954 - Prix Charlemagne 1952 de la cité d'Aix, décerné aux personnes ayant contribué à la paix européenne et à l'idéal européen)
- Robert Schuman étudia à Luxembourg, Metz, Bonn, Berlin, Munich et Strasbourg, fut avocat à Metz puis fonctionnaire territorial dans l'arrondissement de Boulay-Moselle [Bolchen], conseiller municipal de Metz, fut réintégré dans la nationalité française en 1919 (rétroactivement au 11.11.1918), élu au Parlement comme député de la Moselle (1919 à 1962) et vice-président de l'Assemblée Nationale, Sous-secrétaire d'Etat aux Réfugiés (Mars 1940), arrêté à son retour en Moselle annexée (Reichsfeind), emprisonné en Allemagne jusqu'à son évasion, ensuite résistant, puis Ministre (Finances, 1946-1947 ; Affaires Etrangères, 1948-1952 ; Justice 1955) et Président du Conseil (1947-1948) et premier Président du Parlement Européen (1958-1960)
- Pierre Pflimlin fut réintégré dans la nationalité française en 1919 (pour le 11.11.1918), étudia à Mulhouse, Paris et Strasbourg, fut avocat à Strasbourg, prisonnier de guerre en Allemagne, interdit de retour en Alsace annexée (Deutschfeindliche Weise), traducteur puis fonctionnaire ministériel à Vichy, juge d'instruction à Thonon-les-Bains puis en 1944 substitut du procureur de la République à Metz désannexé, élu député du Bas-Rhin à l'Assemblée Nationale (1945 à 1971), Sous-secrétaire d'Etat puis Ministre (Agriculture, 1947-1951, Commerce, Affaires Européennes, Outremer, Finances, Affaires Économiques), Président du Conseil (1958), Ministre d'Etat (1958-1959), Ministre d'Etat, Ministre de la Coopération (1962 - démission, désaccord sur politique européenne), Représentant de la France à l'Assemblée du Conseil de l'Europe et au Parlement Européen (1959-1967), Président de l'Assemblée du Conseil de l'Europe (1963-1966), Député au Parlement Européen (1979-1989), Président du Parlement Européen (1984-1987)
[Les pères fondateurs de la Communauté Européenne ont donc partagé pour plusieurs d'entre-eux le point commun d'avoir été des "hommes-frontières" ayant vécu une double-identité nationale...]
Garibaldi est né à Nice en 1807.Il est donc né français.
Rédigé par : RAVEU | 30 août 2012 à 20:38