La traite organisée par les européens s'est faite à grande échelle et dans des conditions abominables (entre 11 et 14 millions de noirs déportés). Parallèlement, la métropole souhaitant peupler au plus vite les îles, envoie là-bas un ramassis hétéroclite d'hommes. S'il est exact qu'un certain nombre de cadets de familles nobles vont s'y établirent pour se tailler de beaux domaines, ils sont trop peu nombreux.
Sous réserve de s'engager pour trente six mois, on promet une pièce de terre à des individus recrutés en France n'importe où, n'importe comment. Le roi Louis XIV rachète les droits aux successeurs Duparquet et intègre les îles aux biens de la couronne en 1674. La politique de Louis XIV envers celles-ci inaugure ce qui va être une constante de leur histoire économique. Le roi ne veut pas que ses lointaines possessions viennent concurrencer les produits de la métropole. Aussi fait-il pratiquer seulement les cultures et industries de type tropicales et limite-t-il volontairement tout ce qui donnerait une autonomie aux îles. Ainsi commencèrent à s'installer les monocultures et industries particulières (rhum, sucre, plus tard bananes).
Ce système profitait aux gros propriétaires presque exclusivement békés jusqu'au début du XIXe siècle et maintenait une dépendance totale envers la métropole. On peut voir encore de nos jours fonctionner ceci au détriment de la masse populaire. Les cultures vivières y sont délaissées et les goûts des gens formés à tout ce qui vient d'Europe. Au XVIIIe siècle les colons ont exporté les épices, les teintures, le coton mais surtout le tabac et le sucre de canne.
Le commerce triangulaire tourne à plein dès le XVIIe siècle. Les bateaux partent des ports français chargés de bimbeloteries, d'outils, de tissus, de fusils vers l'Afrique. Ces chargements sont échangés contre des esclaves, les blancs n'ont aucuns scrupules puisqu'il est patent que les noirs n'ont pas d'âmes.
Après des traversées dignes d'une descente aux enfers les esclaves survivants sont vendus. Puis les bateaux repartent avec leur cargaison de sucre et autres produits tropicaux vers la France. Les colons défrichent encore et encore. Les puissants absorbent les petits. Ainsi se crée les grandes propriétés ou habitations, qui comme ce fut le cas à l'époque des anciens propriétaires, pour notre domaine familial de l'Anse Couleuvre, peuvent vivre en quasi-autarcie.
De grosses fortunes s'édifient et des dynasties naissent grâce à ces richesses. Toutefois la Martinique île riche et convoitée est souvent victime de flibustiers pillards. De plus les esclaves exaspérés et désespérés entretiennent une lutte d'usure avec les blancs. Ils les empoisonnent ainsi que le cheptel. Les femmes avortent souvent plutôt que de voir leurs enfants esclaves.
Le XVIIIe siècle voit se multiplier les tensions raciales aux îles, à côté des noirs émergent la classe des gens de couleur libres, en particulier les mulâtres et les métis. C'est une véritable société qui se constitue. Fait remarquable et inquiétant pour les békés, beaucoup de ces libres sont instruits, voir cultivés et souvent propriétaires, tant d'esclaves que de biens importants. En moindre proportion des noirs libres sont également possesseurs d'esclaves.
En 1816, Moreau de Jonnès écrivait que les libres possédaient une masse de biens considérables et qu'une partie des immeubles de Saint-Pierre et Fort Royal leur appartenait. Il ajoutait que les pères naturels békés leur laissaient la majeure partie de leurs biens par des fidéicommis (dans les gens de couleur libres du Fort Royal 1679 - 1823 par E. Hayot).
Les blancs sont inquiets, la proportion des gens de couleur libres s'accroît rapidement. En 1805 il y avait 9.877 blancs, 6.555 libres et 80.473 esclaves. En 1822 : 9.867 blancs, 11.073 libres et 77.339 esclaves. A la Martinique naît ainsi un groupe humain charnière entre deux mondes. Ils sont la résultante de la rencontre des peuples antinomiques, les Européens et les Africains. C'est une conséquence imprévue, mais non imprévisible des conditions de vie totalement aberrantes et des moeurs qui prévalent aux îles.
Les mulâtres et les « grands mulâtres » (fortunés, famille jouant un rôle important) sont le pied de nez de l'histoire à la société béké empesée dans ces certitudes nombrilistes de supériorité. Pris en tant que classe les békés avaient tenté par tous les moyens d'entraver la croissance et la montée en puissance du groupe des libres. Mais individuellement un béké père d'enfants naturels métis, très souvent faisait le maximum pour aider, instruire, installer ces derniers.
Et petit à petit les mulâtres empruntant toutes les voies qui leur étaient permises, administration, commerce, artisanat puis la politique ont pris une place importante dans la colonie. Précurseurs, ils vont ainsi permettre plus tard à tous les hommes de couleur d'arriver aux plus hautes responsabilités.
La révolution de 1789 ne fait qu'effleurer la Martinique à l'inverse de la Guadeloupe. La Martinique dominée par les monarchistes plutôt que de se voir imposer l'abolition de l'esclavage votée le 4 février 1794 par la convention et les lois républicaines se donne aux anglais. Pendant une vingtaine d'année l'île sera tour à tour aux français ou aux anglais.
Une jeune békée Marie-Joseph-Rose Tascher de la Pagerie épouse Napoléon Bonaparte. Elle sera sacrée impératrice des français en 1804, la belle créole rebaptisée Joséphine. Il est assez étrange de penser que l'arrière grand oncle de notre grand-mère était le neveu naturel de l'impératrice Joséphine (La mère de Cyrille Charles Auguste Bissette, Elisabeth était la fille naturelle métissée de Joseph Tascher de la Pagerie père de l'impératrice Joséphine).
Le 20 Mars 1802 Bonaparte annule les décrets d'abolition de 1794. La traite sera abolie par les anglais en 1807, virtuellement par la France en 1815, mais en fait cela perdure. Les révoltes se multiplient. Les anglais affranchissent 800.000 esclaves en 1833 dans leurs possessions. En France les abolitionnistes mènent de grandes campagnes d'opinion, Perrinon, Arago et en particulier le député d'origine alsacienne Victor Schoelcher (sous secrétaire d'état à la Marine chargé des colonies en Février 1848).
Le décret d'abolition est pris le 27 Avril 1848. A Saint-Pierre la population de couleur n'en peut plus d'attendre l'arrivée du bateau porteur du décret. Des émeutes les 20, 21, 22 Mai 1848 amènent le gouverneur Rostoland à proclamer la liberté de tous. C'est dans l'impréparation et le chaos que vient au monde libre celui qui sera le peuple martiniquais.
L'île connaît une crise économique, les grandes exploitations n'ont plus de travailleurs car les nouveaux libres fuient les anciens maîtres. D'autre part la betterave sucrière cause un grand dommage à la canne à sucre. Les habitations misent alors sur la transformation de la canne en rhum et recouvrent une nouvelle prospérité. Mais il faut à nouveau de la main d'oeuvre. On fait venir des « coolies » des Indes, des chinois et des africains « congos ». Ils auront grand mal à se faire accepter par les antillais, cela prendra plusieurs générations. Leur présence cassait les salaires des autochtones.
Lors des dernières guerres, des antillais combattent et meurent pour la France. Le 16 Mars 1946 la loi dite d'assimilation transforme la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et la Réunion en départements français. Actuellement pour 360.000 habitants, il y aurait environ 2.000 békés, à la Martinique.
La suite de cet article sera diffusée dans une prochaine note...
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