45 millions de feuillets déchirés en 1989 sont reconstitués par ordinateur. Un travail titanesque sur le plus grand puzzle du monde.
Vingt-cinq agents, hommes et femmes, s’affairent devant des écrans d’ordinateurs et des imprimantes. Le laboratoire d’informatique de l’IPK (Institut Fraunhofer pour le développement d’unités de production et de techniques de construction) fonctionne à plein régime. Cet organisme œuvre pour l’histoire.
Ses ingénieurs ont réussi à mettre au point un logiciel pour reconstituer les archives détruites de la Stasi, la redoutable police secrète de l’ex-Allemagne de l’Est communiste, dont les secrets tombent un à un, révélant sa gigantesque entreprise de surveillance et de terreur à l’Est, son travail de sape et de désinformation en Allemagne de l’Ouest et l’ampleur de son aide aux réseaux gauchistes puis terroristes nés sur les décombres des barricades de mai 1968.
Trente ans après la vague d’attentats terroristes qui ensanglanta l’Allemagne, on en sait un peu plus sur les liens très étroits qui ont existé pendant vingt ans entre la Stasi et la Fraction armée rouge (RAF). De 1970 (un premier policier tué) à 1991, la RAF et ses commanditaires auront assassiné des dizaines de personnes, dont Hanns-Martin Schleyer, le patron des patrons allemands, retrouvé mort le 19 octobre 1977 (la veille, les trois fondateurs de la RAF, dont Andreas Baader, se suicidaient dans leur prison).
Les Allemands n’ont rien oublié de ces heures tragiques qui ébranlèrent la démocratie fédérale. Ils commémorent en ce moment les victimes du terrorisme rouge, dont certains voudraient gommer la trace sanglante. Ils suivent avec attention la reconstitution des dossiers en partie détruits lors de la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989.
À l’époque, le ministère de la Sûreté d’État de la RDA donna l’ordre de détruire tous ses documents afin de protéger leurs indicateurs, les « IM », abréviation allemande de « collaborateurs informels », et leurs agents actifs, dont ceux des réseaux gauchistes ouest-allemands, largement manipulés entre 1978 et 1983 pour mener des opérations terroristes antioccidentales. La RAF ne fut officiellement dissoute qu’en 1998, après une dernière vague d’assassinats entre 1986 et 1991 (cinq personnes tuées).
Au début, pour effacer toutes les traces, les cadres de la Stasi utilisèrent des broyeurs. L’un des documents récupérés, du format d’une carte postale, a donné 86 miettes de papier, le record absolu. À ce rythme, les broyeurs est-allemands rendirent vite l’âme. La majorité des feuilles fut donc déchirée à la main, en huit à trente morceaux. Mais les agents de la Stasi n’eurent pas le temps d’escamoter 16.250 sacs bourrés de quelque six cents millions de bouts de papier. C’est tout ce qui restait des 45 millions de feuillets déchirés ou déchiquetés lors du naufrage de la RDA. Si beaucoup de documents ont effectivement disparu, les autres furent précieusement gardés.
On attendait un moyen rapide de les reconstituer, autrement qu’à la main. IPK peut aujourd’hui le faire, à l’aide d’un logiciel spécial et d’ordinateurs qui traitent des milliers d’opérations par minute. C’est une œuvre nationale : en 2003, les premières recherches sur le logiciel avaient été subventionnées par la Ville de Berlin ; le Parlement allemand a pris le relais en débloquant 6,3 millions d’euros pour 2007 et 2008, afin d’achever le travail.
C’est le plus grand puzzle du monde, sinon de tous les temps, reconstitué par des "joueurs" galvanisés par ce jeu de patience titanesque. « Nous avions vu à la télévision des personnes qui refaisaient des pages entières en recollant ces bouts de papier, raconte Bertram Nickolay, préposé à ce travail de Sisyphe. Cela a convaincu notre département qu’il fallait trouver une autre méthode à l’aide de l’ordinateur et de l’imagerie virtuelle. ».
L’IPK s’associa d’abord à Lufthansa Systems, détentrice du savoir-faire en matière de scanner, avec cent millions de documents scannés par an et des machines capables de traiter dix mille documents à l’heure. Il fallait insérer les papiers dans des feuilles transparentes à angles droits, ce qui aurait été irréalisable avec les papiers de la Stasi, trop nombreux et de formes trop diverses. En 2005, l’IPK décida alors de s’associer avec l’Arvato Direct Services GmbH, filiale du groupe Bertelsmann, capable de scanner recto verso des papiers posés tels quels sur la bande...
Pour en savoir plus :
§ Valeurs Actuelles : Lire l'intégralité de l'article de l'hebdo
§ Transfert.net : Logiciel de reconstitution des archives
§ Arte-tv : Archives sur la Stasi
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