Annick Le Douget est greffière au tribunal de Quimper, et vient de publier un remarquable ouvrage sur la peine de mort en Bretagne. Elle a eu accès à des sources inédites pour dresser un tableau de la peine capitale, de l'instauration des cours d'assises, en 1811, à la dernière condamnation (non exécutée) par la cour d'assises de Loire-Atlantique en 1971.
Elle a obtenu une dérogation du ministère de la Justice pour consulter les dossiers de recours en grâce postérieurs à la Seconde Guerre mondiale.
Environ 150 criminels de droit commun ont été exécutés aux XIXe et XXe siècles. L'estimation exacte est difficile, car au XIXe siècle, les méthodes de calcul ont changé plusieurs fois. Il y a également quelques lacunes dans les archives pour la période de 1811 à 1826. Exclus de ce chiffre les condamnés à mort des soulèvements de l'Ouest et les condamnés pour collaboration.
Une erreur judiciaire va modifier cela. Louarn et Baffet, de Bannalec, qui avaient été condamnés au bagne pour un vol avec arme de nuit, sont morts à Brest et Cayenne avant que l'on ne confonde la veuve Sinquin, meunière à Saint-Cado, et ses complices. C'est la seule erreur judiciaire reconnue dans le Finistère. Les jurys s'en souviendront puisqu'au cours des quinze années suivantes, il n'y eut que deux condamnations à mort au lieu d'une par an précédemment. L'avocat de la défense brandissait la menace de Baffet et Louarn.
Certains utilisent la peine de mort pour, pensent-ils, civiliser le pays. Le Meur, un magistrat de Rennes, a ainsi fait des rapports dégoulinants de préjugés au ministre de la Justice. Cette attitude est assez répandue. Les magistrats reprochent aux Bretons leur ivrognerie et leur analphabétisme. On les considère analphabètes car ils parlent breton et qu'on ne prend en compte que le français ! Le Meur considère que la peur de la guillotine est propre à les faire rentrer dans le rang.
À Nantes où les condamnations à mort sont moins nombreuses. Deux journaux, L'Ami de la charte et le Phare de la Loire s'opposent à certains moments aux peines de mort. Le gouvernement est furieux après eux : on les rendait complices de la criminalité. Ils avaient une réelle influence sur des jurys, à l'époque composés de notables. À une autre époque, l'action de François Régis Hutin à Ouest-France pour l'abolition de la peine de mort a permis de mobiliser les consciences. Il continue son combat pour l'abolition universelle, l'Histoire lui donnera raison.
À vrai dire, il n'y a pas eu, en Bretagne, de journal militant pour la peine de mort comme le Petit Parisien qui avait organisé une sorte de referendum, au début du XXe siècle. En 1908, les députés étaient tout près de voter l'abolition à l'initiative d'Aristide Briand et de Jean Jaurès, quand eut lieu le meurtre d'une petite fille. Il faudra attendre 70 ans.
La dernière exécution publique en Bretagne, celle de Maurice Pilorge, a lieu, en 1939, en Ille-et-Vilaine. Après, seuls le greffier, le juge, le procureur, le commandant de gendarmerie, le commissaire de police, l'avocat, un prêtre, un médecin assistent à l'exécution. Un représentant de la presse locale est admis, mais il est interdit de commenter l'exécution. Cela se limite à quelques lignes sous un titre du type : « Justice est faite ».
Sources & compléments :
§ Ouvrage : Justice de sang, La peine de mort en Bretagne aux XIXe et XXe siècles, de Annick Le Douget, autoédition, distribution De Borée (Clermont-Ferrand), 265 p, 19 €.
§ Ouest-France : Article de presse
§ Chapitres Alapage Amazon Dialogues : Différentes adresses pour acheter le livre
§ R. Combes : Les guillotinés de la révolution
Illustrations : différents sites non identifiés sur Google
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