Octobre 1914. Armand, un avocat de Saint-Brieuc, est envoyé sur le front. Sa femme vit dans l'attente, avec leurs trois enfants. Chaque jour, elle lui écrit, chaque jour, il lui répond. Une correspondance de 3 000 lettres en quatre ans...
L'historien Jean-Pol Dumont-Le Douarec a réuni les lettres d'amour du couple pendant la guerre 14-18. Armandine et Armand sont décédés respectivement en 1960 et 1965. Ils ont eu sept enfants.
Extraits :
La rencontre (Elle) : « Je me promenais avec toi sans avoir l'idée du mariage. Au premier abord, tu me paraissais quelconque et surtout phraseur. Je ne me voyais pas bien m'unissant à toi, pauvre illettrée ! Mais, à partir du 3 décembre 1909, je puis l'avouer, je t'avais dans le sang. Je ne regrette qu'une chose, que cette vilaine guerre soit une dure et longue barrière à nos amours. »
Le quotidien de la guerre (Lui) : « On parcourt les journaux, on somnole, on tisonne le feu et le temps passe. Ce matin, tirs d'artillerie grosse. On sort de son gîte pour mesurer les effets de nos rafales. Aux coups portant justes, nous applaudissons comme à la foire. Rien ne résiste à nos crapouillots, de gros engins projetés à courte distance et qui retombent lourdement chez les Allemands dans une explosion formidable. On a tôt fait de se ramasser, quand éclate le tir de riposte. Les obus à fumée verte puent terriblement. Nous sommes loin de la guerre en dentelles.»
Le manque (Elle) : « Cette nuit, je n'ai pas dormi, je ne pensais qu'à toi. Il y a cinq mois que je ne t'ai pas embrassé. C'est un carême de durée anormale. J'ai hâte de faire dodo avec mon petit sous-lieutenant et toi avec la provision de dentelles. Il y en aura beaucoup de rubans, tu sais, des blancs, des bleus, des roses à ton goût. Je suis impatiente et j'aiguise de rage mes ongles sur le marbre des cheminées. Madame est nerveuse. »
L'intrusion (Lui) : « La censure a décacheté ma lettre du 7 février (1917). Ça, c'est un peu raide. Ils ont, du reste, recollés une bande blanche sur l'ouverture avec ce cachet « Contrôle 125 par l'autorité militaire ». Ils ont lu ma lettre ainsi que celle du 2 où je parlais de tes aptitudes militaires. Pourtant, la censure ne devrait pas se méfier de toi, car nous ne cherchons pas à trahir les secrets de la guerre. Toi comme moi, nous ne trouvons, dans nos lettres, que le moyen de nous dire notre amour et par nos lignes, de faire un profond trait d'union entre nos deux coeurs. »
La jalousie (Lui) : « Je n'oublierai pas la date de ton triste départ à la guerre du 13 octobre 1914, presque trois ans déjà ! La noce, tu ne la feras qu'avec moi, un jeune homme ne doit penser qu'au bonheur du mariage et laisser les marchandes de sourires. Ces femmes n'aiment pas et ne le peuvent pas. L'argent est seul à l'origine de leurs soi-disant caresses. »
La permission (Elle) : 13 janvier 1917. « Je suis encore toute chaude de l'étreinte de ce matin. C'est vraiment trop court ces quelques jours où nous avons pu nous aimer, que dis-je, nous adorer. »
La dispute (Elle) : « Ta lettre du 21 (juillet 1917). Tu ne me l'envoies pas dire que tu tiens à être le maître. Me laisser commander en me réprimandant dès le premier faux pas. Je ne te reconnais plus. Tu dis que je dois accepter tout ce que tu as décidé quand ce n'est pas déraisonnable. Si tu veux être le patron, je veux qu'on patronne tous les deux ensemble. [...] Je dis que le gouvernement appartient autant à la femme qu'à l'homme, moi, c'est vrai que j'aime quelques fois porter la culotte. »
La confiance (Lui) : 26 juin 1916. « Mon amour, je t'écris ces lignes, peut-être les dernières, quelques heures avant de monter à l'assaut. Il s'agit de repousser les Allemands, au prix de n'importe quels sacrifices au-delà de la redoute de Thiaumont (Verdun). Ni ma main ni mon coeur ne tremblent. Je pars réconforté et confiant, après m'être épanché dans ton âme charmante. Je te confie et je confie nos petits Jean, Pol, Bernard, celui ou celle qui naîtra demain, au bon Dieu. »
Les nouvelles du pays (Elle) : 25 juin 1917. « Ma soeur me dit que Paris est surexcité et peu de chose suffirait pour mettre le peuple en révolution. Beaucoup de propriétés agricoles restent sans être cultivées, les femmes ne peuvent plus travailler seules. Le blé est beau et clairsemé, ce qui n'annonce pas une récolte abondante. On craint ici que l'arrivée des Américains fasse monter le prix des vivres. »
L'exaspération (Elle) : « Je voudrais tant te voir sortir de la fournaise. En trois ans, tu as beaucoup donné à la patrie ! Que faire ? Écrire à des députés, ça ne sert à rien. Je veux te mettre à l'abri. Mets ta famille en avant. Veux-tu que j'écrive à ton colonel ? Cela ne me gênerait pas du tout. Mon énergie commence à s'épuiser depuis qu'elle est tendue. »
Le découragement (Lui) : 3 janvier 1919. « Il est agaçant de se trouver à 800 km de chez soi. J'en ai soupé de ces allers et retours à la vapeur où l'on se retrouve parfois coincé entre une dame obèse et un embusqué qui vous fume des cigares dans le nez, pose sans s'excuser, sur vos doigts de pied, ses larges semelles. Ces messieurs de l'état-major m'auront possédé jusqu'au bout. On nous aura tenus séparés jusqu'à plus soif. »
Pour en savoir plus :
§ Ouest-France : Article de presse
§ FNAC : ISBN 2353130291
Crédit photo : Jérôme Fouquet
Commentaires