En cette période où l'on se penche sur mai 1968, ses faits et ses effets, nous avons choisi de publier en chapitres le récit d'un voyage de notre ami et associé Benoît Fichet.
Il avait 14 ans en 68 et avait humé l'air de la liberté. Arrivé à l'âge étudiant, il en a profité pour prendre le grand large, histoire de vérifier qu'après les pavés on pouvait trouver le sable du désert, les forêts équatoriales et des ailleurs passionnants. (France Apprill)
In-Salah, et le vent de sable
Je m’éloigne un peu des voitures et m’équipe pour passer la nuit dans le désert. Il fait un froid de canard. Je mets une cagoule spéciale 'désert' qui me couvre la bouche, le chèche noir, des chaussettes. Je dors habillé dans un duvet de plume.
Les étoiles ne sont plus les mêmes qu’en France : la Grande Ourse est très basse sur l’horizon, la Croix du Sud n’est pas très haute, et la lune est énorme. On a beau tendre l’oreille, pas un pet de bruit, sinon mes os qui craquent sur le sol très dur. De même, on sent le vent, on ne peut pas l’entendre. Le matin, après une nuit passée au chaud dans le duvet, il y a des glaçons dans une gourde d’eau. Les autres ont pelé de froid ! Mon équipement est donc au point !
Nous repartons rapidement dans la bonne direction et nous croisons notre première voiture depuis longtemps. Nous arrivons à In-Salah, oasis très jolie : Les maisons sont rouges et il y a de l’essence à la pompe !
Il y a beaucoup de dunes mais elles sont loin de la route. A In-Salah, part la route pour Reggane, au sud d’Adrar et de Timimoun. Nous achetons fruits, viandes, huile, et nous refaisons nos provisions de bois très difficilement.
Après In-Salah, le sable commence : il y a des bancs de sable sur la route qui nous obligent à faire du slalom. Cette fois ci, nous savons qu’il y a du vent car nous entendons le sable qui frappe la voiture. Les chauffeurs doivent s’arrêter toutes les demi-heures pour nettoyer les carburateurs: le sable est partout.
A Ghardaïa, on nous avait dit que le goudron continuait jusqu’à deux cent km au sud d’In-Salah et qu’il fallait le quitter cent km plus tôt, pour prendre l’ancienne piste.
“Quand vous verrez une petite baraque à gauche, il y a un panneau à droite indiquant l’embranchement” Alors tout le monde regarde à droite, pas à gauche, car on se dit qu’un panneau d’un certain volume, ça se remarque ! En fait, la maison est toute minuscule et de même couleur que le sol De plus, le ciel était orageux, gris sombre comme la terre, alors nous supposions que le panneau serait plus visible que la maison !
Cent quatre-vingts km plus loin, (donc au bout de la route goudronnée) nous croisons un camion militaire nous disant “Faut rebrousser chemin, vous avez dépassé la maison de cent km” Nous retournons sur nos pas et trouvons la maison grâce à la présence d’autres voitures garées à coté ! Quant au panneau...
Il y a un fort vent de sable, nous ne voyons pas à dix mètres, alors nous nous arrêtons comme les autres et nous attendons que le vent de sable cesse. Cela peut durer aussi bien une journée qu’une semaine. De plus, avec les deux cents km de trop, les voitures n’ont plus assez d’essence pour continuer sur Tam. Une voiture retourne donc à In-Salah pour remplir tous les réservoirs, bidons supplémentaires, ce qui fait encore cent soixante km de plus en voiture, par 40°, çà coûte pour les mécaniques.
Pendant l’aller et retour sur In-Salah, le vent de sable a continué à souffler plutôt fort : La voiture était nettoyée de sa peinture et brillait de tous ses éclats de tôle poncée et reponcée par le sable ! Les portières exposées au vent latéral : idem ! Plus tard, nous avons compris pourquoi les habitués du désert couvrent l’avant de leur voiture avec des kilos de graisse ! Son trajet a duré plus d’une journée et le caravanier à la 404 connaissait son carbu sur le bout des doigts.
En attendant, nous sommes près de cette baraque où nous découvrons un petit homme qui fait du thé et du café. Il se fait approvisionner en bois, et en ingrédients divers, par les habitués de la piste qui viennent discuter et se désaltérer. C’est un type très sympa, très calme, le visage fendu par un large sourire jusqu’aux oreilles. Nous lui avons offert de partager notre dîner. Il était ravi de voir des étrangers à cette époque de l’année, qui souvent ne s’arrêtent pas, car ils sont pressés par on ne sait quoi. Faut dire aussi que rien n’indique une présence humaine à cet endroit !
A part nos trois voitures, il y avait une “deux chevaux” aménagée dont le châssis avait plié à l’avant, mais après tout “qu'est ce que ça peut faire, sur la tôle ondulée, ça passera, même à dix à l’heure ! ” Je ne fais que rapporter les propos tenus par les chauffeurs !
Nous sommes cinq voitures à attendre que le vent de sable s’arrête, perdus dans le désert, à coté d’une baraque en terre qui n’avait qu’un trou en guise de porte et de fenêtre. Derrière, protégé du sable, il y avait un petit carré de terre où notre hôte faisait pousser quelques plantes. A part cela, comme décor : rien, car le vent de sable nous cachait tout. On se couche, qui dans les voitures, qui dehors. Bien sûr, je suis dehors, et abrité du vent de sable qui souffle très fort. Vers dix heures du soir, tout est fini, on revoit les étoiles, le paysage apparaît sous le clair de lune : d'un côté, l’horizon tracé au cordeau, de l’autre des montagnes. Je crève de chaud dans le duvet, alors qu’il gèle dehors !
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