En cette période où l'on se penche sur mai 1968, ses faits et ses effets, nous avons choisi de publier en chapitres le récit d'un voyage de notre ami et associé Benoît Fichet.
Il avait 14 ans en 68 et avait humé l'air de la liberté. Arrivé à l'âge étudiant, il en a profité pour prendre le grand large, histoire de vérifier qu'après les pavés on pouvait trouver le sable du désert, les forêts équatoriales et des ailleurs passionnants. (France Apprill)
Le NIGER
La frontière
Nous donnons nos passeports, une heure après, toujours rien. Ils sont confisqués jusqu’à nouvel ordre ! On apprend que la nuit dernière, il y a eu une tentative de coup d'état et les frontières sont fermées ! Heureusement nous pouvons rester à attendre ! Nous ne sommes pas obligés de revenir en Algérie. En effet, il faut un jour et demi pour parcourir les 30 kilomètres qui nous séparent de In Guezzam ! Au Niger, il y a couvre-feu. Comme nous bivouaquons à 10 mètres à l’extérieur du Niger, le couvre-feu ne s’applique pas pour nous. Ca fait rigoler de savoir qu’il y a une frontière dans ces tas de cailloux et de sable. A part nos deux camions, il y a un camion algérien, un Français en R 16 qui va sur Niamey, un Belge qui s’arrête à Agadez, un médecin en Jeep qui va au Zaïre. Il y a aussi des Nigériens qui vont et sortent d’Algérie. Les Nigériens sont coincés comme nous, mais ils ont le droit de se joindre à nous. De toute façon les passeports sont confisqués au poste de douane.
A Assamaka, il y a aussi une source d’eau...chaude...permanente. L’eau sort par un tuyau rouillé et est très chargée de matières minérales. Les Nigériens ont planté des arbres sur le trajet de l’eau, celle-ci disparaissant en cinquante mètres, noyée dans le sable.
Il y aussi un troupeau de chèvre qui a l’excellente idée de se trouver ici. On en achète une qui se retrouve vite fait sur le feu en guise de méchoui ! Ce fût bien bon !
Le gars à la R16 nous raconte sa mésaventure (Que nous connaissions déjà, car le téléphone arabe est d’une stupéfiante efficacité sur la piste de Tam)
Il était avec sa R16 sur la piste de Tam, au sud d’In-Salah. Comme il en avait marre de la tôle ondulée, il a pris une piste parallèle. Cette seconde piste étant à vingt mètres de la principale, et sans tôle, il ne s’est pas inquiété. Le confort total ! Avec la chaleur, la monotonie du paysage, la route désespérément droite, on s’endort, on fait moins attention ! si bien qu’il n’a pas vu que la piste “parallèle” s’éloignait insensiblement de la principale. Il s’est retrouvé sur une piste allant en Libye. Un virage régulier, reparti sur 20 ou 30 kilomètres, c’est presque droit ! Au bout de cinq heures de route, il croise un camion qui lui fait des appels de phares (au Sahara c’est une coutume : cela signifie qu’on souhaite s’arrêter pour discuter et échanger les nouvelles de la piste, boire le thé) Le chauffeur du camion lui dit à toute fin utile qu’il va en Libye, et qu’avec sa R16, c’est risqué à cause des pierres et des cailloux. De plus, il a une semaine de route pour arriver en Libye ! Le gars ouvre des yeux larges comme des soucoupes et remercie chaudement le chauffeur. Il rebrousse chemin jusqu’à In-Salah pour refaire le plein d’essence. Tout se termine bien puisqu’il est bloqué avec nous à la frontière.
Le lendemain matin, nous nous préparons comme si nous allions partir, au cas où on nous rendrait les passeports. Il fait chaud ; le soleil tourne dans le ciel, entraînant avec lui les ombres des camions. Nous, nous tournons sous les camions, à l’ombre. Ca permet de vérifier les détails qui font que les voyages se passent bien. Par exemple : les fuites d’huile, les cardans, le pont arrière, les freins etc..
Je me surprends à me sentir bien sous les entrailles maternelles d’acier du camion. Je me sens protégé par quatre bras de caoutchouc exténués de chaleur. La graisse ne me paraît plus si sale, elle s’humanise, et ressemble plus à de la sueur de quelqu’un ayant piqué un cent mètres.
Vers 17h00, nous ressortons de notre abri de métal luisant, de pneus surchauffés. Les douaniers nous appellent pour nous rendre nos passeports, après avoir donné le coup de tampon attendu comme le Messie.
Au Niger, le climat change, il y a toujours une forte amplitude thermique entre le jour et la nuit, cependant elle s’atténue, plus on descend vers Agadez et Zinder. Je remarque non sans étonnement, que ma physiologie s’adapte à la chaleur, buvant peu et rejetant peu d’eau.
C’est le grand départ ! A la sortie du poste frontière d’Assamaka, nous prenons la “route” de Tegguidda-n-Tessoum. A nous les vastes étendues, l’ivresse de la découverte ! Il fallût rapidement revenir à la réalité ! Nous nous ensablons misérablement, comme des débutants !
Nos chauffeurs allemands ont eu la sagesse de prendre des passagers supplémentaires pour pousser les camions, ce qu’ils font d’autant plus volontiers qu’ils voyagent gratuitement !
Plus nous approchons de Tegguidda-n-Tessoum, plus les camions se remplissent.
A Tegguidda, 50 personnes descendent des camions... Ici, les normes européennes sur le transport collectif semblent n’être qu’un vague rêve de fonctionnaire enfiévré, les repères sont bousculés !
A Tegguidda-n-Tessoum, je rencontre un instituteur à qui je donne une carte Michelin à grande échelle de la moitié Sud de l’Afrique. (C’est plus facile pour lui de trouver la partie Nord)
Je lui promets aussi de lui envoyer des cahiers, des crayons etc, promesses bientôt enlisées et enfouies dans le sable de ma négligence.
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