Après deux campagnes de fouilles, sous le patronage de l'Unesco, les travaux ont permis d'en savoir plus sur la vie des 60 esclaves abandonnés au XVIIIe siècle sur cet îlot français de l'Océan Indien. Pendant quinze ans, les survivants se sont adaptés et organisés pour survivre dans des conditions de vie extrêmes.
L'histoire
Cette incroyable histoire débute le 31 juillet 1761 lorsque « L'Utile », un navire de la Compagnie française des Indes Orientales en provenance de Madagascar, s'échoue sur « l'île de Tromelin », alors appelée île de Sable et mal répertoriée sur les cartes de l'époque. Cet îlot de 1 km2 est situé à plus de 500 km au nord de Madagascar. Lors du naufrage, 18 membres d'équipage se noient ainsi que 71 esclaves, prisonniers des flancs du navire. Ce sont donc 125 marins et 89 qui parviennent à atteindre le rivage de ce bout de terre à la végétation rare. Il faut trois jours aux hommes pour trouver de l'eau saumâtre mais potable après avoir creusé un puits. Trois jours pendant lesquels l'eau est rationnée pour les Européens : les Malgaches n'y ont pas droit - 29 d'entre eux décèdent.
Avec l'épave de L'Utile, les marins construisent un bateau : deux mois plus tard, ils y embarquent, abandonnant les Malgaches à leur sort avec trois mois de vivres et la promesse de revenir les chercher. Une promesse que refuse d'honorer le gouverneur de l'Île de France où ont débarqué les 125 rescapés européens. Indignation jusqu'à Paris. Puis la Guerre de sept ans et la faillite de la Compagnie française des Indes Orientales plongent les esclaves de Tromelin dans l'oubli.
Ils sont à nouveau repérés par un navire en 1773. Plusieurs tentatives de sauvetage échouent. Lors de l'une d'entre elles, un marin se retrouve même prisonnier à son tour de l'île. Il construit un radeau de fortune dont les voiles sont faites de plumes d'oiseau et quitte cette prison de sable avec les trois derniers hommes et trois femmes. Ils se perdront en mer. Ce n'est que le 29 novembre 1776 que l'enseigne de vaisseau de Tromelin, qui commande « La Dauphine », parvient à récupérer les survivants : sept femmes et un bébé de huit mois. À leur retour à l'Île de France, ils seront affranchis, et le bébé sera baptisé : Jacques Moïse.
Les recherches
Le projet « L'Utile, 1761. Esclaves oubliés » a été lancé en 2004, placé sous le patronage de l'Unesco, dans le cadre de l’Année internationale de commémoration de la lutte contre l’esclavage et de son abolition et du programme « La Route de l’esclave », cette opération a pour but :
1. d’effectuer des recherches historiques et archéologiques ayant pour objectif d’élucider tous les aspects de cette tragédie
2. de servir de support a une communication dirigée vers les médias, le grand public et les scolaires pour sensibiliser aux problèmes de l’esclavage et ses conséquences
3. de développer à la Réunion des compétences en matière d’archéologie sous-marine et de conservations du mobilier archéologique en liaison avec les Musées de l’île
L'Unesco nomme à la tête des recherches, Max Guérout, ancien officier de la Royale, co-fondateur du Groupe de recherche en archéologie navale (GRAN) en 1982, et Thomas Ramon de l'Institut national de recherche archéologique préventive (Inrap)
Ils feront depuis un travail remarquable et prolifique ; la première campagne de fouilles en 2006, permet d'identifier l'épave dont il ne reste que le matériel lourd (canons, ancres, lest...). Sur terre, les archéologues exhument les vestiges d'un four mais aucune trace d'habitations ni de sépultures. Il faut dire que dans les années cinquante, Météo-France a installé des bâtiments sur le site où ont probablement vécu les esclaves.
Une deuxième campagne s'organise en 2008, qui offre beaucoup plus de détails sur la vie et subsistance de ces esclaves oubliés de tous, vie sociale, habitat, culture, nourriture...
Mode de subsistance
En 2008, l'expédition s'attache donc à dresser une carte précise de l'île et mène des fouilles près des structures en béton de l'agence météo. Les scientifiques mettent au jour des structures bâties aux murs de pierre épais de 1,5 à 3 m et hauts de 1,5 à 2 m. En principe, ce type de construction est réservé aux tombeaux à Madagascar, mais les Malgaches de Tromelin n'ont pas à leur disposition de bois et de torchis, qui sont traditionnellement utilisés dans leur île natale pour construire des maisons.
Les bâtiments solidement conçus avec des pierres, offraient des volumes intérieurs très faibles, des pièces d'habitation, ainsi qu'une cuisine où un foyer a été dégagé, les archéologues y ont découvert 13 récipients en cuivre, trois bassines en plomb, deux casseroles, ainsi que des lames de haches, ou un trépied de cuisson.
Il apparaît que les naufragés se sont nourris surtout exclusivement d'oiseaux et de tortues, et très peu de poissons, car difficiles à pêcher du fait de la mer qui est très agitée dans la région.
Une troisième campagne de fouilles devrait être mise en place en 2009, pour lever les derniers mystères de l'île.
Pour en savoir plus :
§ TF1-LCI : Article de presse (02/2009)
§ Le Télégramme : Article de presse (01/2009)
§ Le Matin : Article de presse (02/2009)
§ Témoignages : Article de presse (11/2006)
§ INRAP : Vidéo sur les travaux de recherches (2007)
§ Unesco : Esclaves oubliés, lancement de la fouille archéologique sous-marine
Commentaires