La maladie
Vers 1861, le phylloxéra, petit puceron venu d'Amérique, commence à faire ses ravages en France, et atteint les vignes du sud dès 1863, d'abord dans le Gard, l'Hérault, l'Aude, puis les Pyrénées Orientales.
Une véritable catastrophe, la chute de la production est brutale, il faut arracher les vignes, introduire des plants américains plus robustes au phylloxéra, qu'il faut greffer, tailler, mais ces plants sont plus sensibles à d'autres maladies, il faut donc les traiter avec du soufre et du sulfate de cuivre, ce qui accroît les coûts d'exploitation.
La crise dure une trentaine d'années, les gros propriétaires arrivent à traverser cette crise, mais les petits exploitants indépendants en ressortent exsangues, peu arrivent à relever la tête. Une solution semble être trouvée, accroître les rendements en multipliant les plants à faible degré, dans certains endroits la production a été multipliée par deux... Mais quelle qualité ? De la piquette qui titre moins de 11°.
Spéculation, concurrence et fraude
Pour écouler cette production, des intermédiaires plus ou moins honnêtes achètent aux cours les plus bas, les petits exploitants n'ont que le choix que de subir. Pour essayer de contrer ce diktat, les viticulteurs s'organisent et s'unissent en syndicats d'exploitants, de là vient la création des premières coopératives agricoles.
Les viticulteurs conscients de la piètre qualité de leur « gros vin », essayent de réduire la production en privilégiant la qualité. En 1903, les cours remontent, cela fait naître de l'espoir chez les vignerons, l'hectolitre se négocie aux environs de 26 francs. Mais cette embellie est de courte durée. La concurrence de l'Espagne, de l'Italie et de l'Algérie, fait que les cours baissent, le dixième des vins consommés en France vient de l'importation, dont une grande partie de l'Algérie qui bénéficiait du statut privilégié de département français.
La fraude, fait aussi partie des éléments de la chute des cours (9 francs en 1906), certains négociants n'hésitent pas à fabriquer cette « boisson hygiénique », indispensable aux travailleurs manuels, qui apporte un supplément d'énergie, à moindre coûts, mais d'une façon plus que douteuse. C'est ainsi que se fabriquent des cépages artificiellement avec procédés qui relèvent de la chimie. Mélanges de vins naturels, lies, sucre et alcool de betteraves, eau, levures, glycérine, tannin, colorants, sureau... Rien à voir avec un produit d'origine !
La révolte
Les viticulteurs n'en peuvent plus, la révolte gronde parmi ces pauvres qui n'arrivent plus à vivre du fruit de leur travail, plusieurs manifestations sont organisées dans la région, mais sans coordination, elles ne portent pas les fruits espérés.
En février 1907, Marcelin Albert, petit viticulteur et bistrotier à Argeliers (Aude) prend la tête du mouvement des contestataires, il préconise la grève des impôts, plusieurs Maires et municipalités démissionnent et rendent leurs écharpes.
Narbonne, Montpellier, Perpignan, les manifestations et soulèvements populaires se font de plus en plus nombreux, toute la région est enflammée. La crise devient nationale, Clémenceau, Président du conseil envoie la troupe pour arrêter les leaders, dont le Maire de Narbonne (le Dr Ferroul) qui venait de faire hisser le drapeau noir sur l'Hôtel de Ville. Les soldats du 17° Régiment d'Infanterie refusèrent de tirer sur la foule, mettant crosses en l'air et fraternisant avec les émeutiers...
Tout n'a pas été aussi rose, quelques jours plus tard, une manifestation spontanée à Narbonne tourne mal, des coups de feu éclatent, fait plusieurs victimes, six civils sont tués dont un enfant de quinze ans.
Négociations
Clémenceau convoque à Paris Marcelin Albert, « petit paysan idéaliste » pour des négociations, mais ce pauvre homme à l'esprit sincère, a été manipulé de tous cotés, Clémenceau le tourne en dérision devant la presse, il est chargé de raisonner les manifestants et diffuser la bonne parole aux « Gueux du Midi ».
Il est repartit sans aucune concession du gouvernement, sauf avec un billet de 100 francs largement prêté par la République pour payer le retour vers son « pays ».
Marcelin Albert est mort dans la pauvreté et l'oubli le plus complet, pas un chien ne suivra son enterrement...
Conclusions
Depuis cent ans, les choses n'ont guère changé, les problèmes perdurent. La concurrence est toujours là, plus que présente et internationalement organisée, la loi du marché est devenue rude, les vignerons sont de braves gens, courageux, et amoureux de leur travail.
J'ai la chance aujourd'hui d'habiter l'Aude, de comprendre le combat de ces viticulteurs que je côtoie chaque jour. Il faut se demander si les organisations syndicales servent bien la cause du petit exploitant, car il est impossible de trouver des accords pour créer des appellations communes. Ce sont ces dernières qui pourraient concurrencer les importations, sachant que les acheteurs étrangers se perdent dans toutes les dénominations de terroirs, de crus et de cépages...
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