La pianiste...
Propriétaires d'un magasin de musique, les parents de grand-mère côtoyaient tous les professionnels dans ce domaine : interprètes, luthiers, facteurs d'orgue, pianistes et autres… Joseph Grunenwald, mon arrière grand-père facteur de piano jouait d'un instrument rare et insolite « le serpent » !
Il apportait aussi aide et soutien à des jeunes voulant devenir musiciens comme Jules Joannes élève de l'école Niedermeyer de Paris ou Théo Wilt, le premier a dédicacé en hommage une polka en 1882, une fantaisie pour piano en 1884, une mélodie en 1885, à mon arrière grand-mère et le second une valse en 1876.
Ma grand’mère Lucie Grunenwald (1883-1982) vivant dans ce milieu étudiait la musique depuis l’enfance. Elle avait le droit de venir essayer les superbes pianos Pleyel, Bechstein, Schiedmeyer… Pour ses seize ans elle avait pu choisir son piano parmi tous les instruments. Celui-ci est maintenant le piano d'étude de son arrière-arrière petite-fille Ann-Kathrin qui a dix ans aujourd'hui.
Grand-mère Lucie avait un authentique talent et avant son mariage avait décidé de jouer en concert au sein d’un trio de musique de chambre. Elle tenait la partie piano, Adolf Rubsamen le violon, Arnold de Groot le violoncelle. Faire accepter cette décision à sa mère n’avait pas été facile. C’était peu conforme aux convenances pour une jeune fille.
Cependant elle ne put s’y opposer, Lucie étant majeure et d’un caractère très déterminé. Après le concert du 5.12.1910 on peut lire dans la rubrique musicale du journal le lendemain : « …le trio a montré une grande cohésion et les trois interprètes exprimaient beaucoup de chaleur et une très belle sonorité…..Mr de Groot démontrait non seulement sa maîtrise de l'instrument, mais aussi une profonde sensibilité musicale. Mlle L. Grunenwald nous a littéralement surpris par son interprétation magistrale de sa partie de piano à travers laquelle elle démontrait une vraie vocation de pianiste… ».
Lucie avait eu plusieurs professeurs. L’un d’eux, Madame Campanini a été plus tard la doyenne de Mulhouse vers 1970. Nous avions pu la retrouver au moment de ses cent ans et conduire grand’mère lui rendre visite. Les deux vieilles dames avaient été émues et heureuses de se revoir.
Grand’mère était ensuite allée à Bâle approfondir son art auprès de Hans Huber, un grand professeur, musicien et compositeur. A l'occasion du premier concert de Lucie, il lui avait offert un gros dictionnaire musicologique assorti de cette dédicace « Amical souvenir à l'occasion de votre concert. De votre vieux professeur. ». Il avait été nommé directeur de l’école de musique de Bâle en 1896. L’université l’avait honoré du titre de Docteur Phil. Honoris Causa.
De sa mère, grand-mère disait qu’elle avait du caractère et de l’esprit. Son allemand n’était pas parfait, frondeuse, elle en jouait avec malice pour faire des jeux de mots et commettre des bévues avec les allemands. Les officiers aimaient beaucoup assister aux divers concerts et se rendaient au magasin de musique pour retenir des places. C’étaient sa façon de contester leur présence. Mais elle pratiquait cela avec une telle innocence apparente qu’ils n’osaient rien dire. Et puis les allemands de la période 1870-1918 n'étaient ceux qui viendraient avec le régime du troisième Reich...
Quittant Mulhouse après son mariage pour s'installer à Strasbourg, grand-mère dû quitter le trio de musique de chambre. Cependant elle continua à participer à certains évènements musicaux en accompagnant l'une ou l'autre cantatrice lors d'un concert ou en se produisant pour un récital à l'occasion d'une soirée. Par exemple pour sa prestation le 30 janvier 1926 en faveur du cercle des beaux arts de Strasbourg, le président lui offrit au nom du comité un bel ouvrage sur Chopin dont la dédicace louangeuse nous le remémore.
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