En cette période où l'on se penche sur mai 1968, ses faits et ses effets, nous avons choisi de publier en chapitres le récit d'un voyage de notre ami et associé Benoît Fichet.
Il avait 14 ans en 68 et avait humé l'air de la liberté. Arrivé à l'âge étudiant, il en a profité pour prendre le grand large, histoire de vérifier qu'après les pavés on pouvait trouver le sable du désert, les forêts équatoriales et des ailleurs passionnants. (France Apprill)
La HAUTE VOLTA (1) Burkina Faso
A la frontière, nous y restons trois jours, non pas pour des problèmes administratifs, mais parce qu’il n’y pas de voiture. Notre attente est récompensée, car nous sommes pris par une Land Rover qui visite les Parcs Nationaux du W (Car le fleuve Niger décrit un W au nord des Parcs). C’est de toute beauté. Nous y passons la nuit et essayons de dormir entre deux raids de moustiques !
Heureusement je m'entoure la tête avec le chèche noir, ce qui permet de dormir sans être piqué par ces kamikazes.
Ce qui était moins prévu, ce fut le déchirement du silence de la nuit par un troupeau d’hippopotames dans le lac voisin, vers quatre heure du matin. Nous n’avons fait qu’un bond pour nous réveiller, essayer de nous habiller, plier les affaires comme nous pouvions, la tente etc... et nous sommes repartis dans la Land Rover ! Vingt ans après, j’entends encore ces hurlements !
Ensuite nous continuons de visiter le Parc National de la Pendjari et la réserve de l’Arli. Nous quittons nos amis à Pama.
Le BENIN (ex Dahomey)
Après la visite des Parcs avec Alain, nous achetons deux vélos anglais. Ils sont robustes et simples de mécanique, avec carter entourant la chaîne, un gros phare, tel un œil de cyclope, une tringle pour freiner (!) Bref, c’est une affaire qui roule : 150000 FCFA.
Depuis Pâma, nous décidons d’aller au Bénin voir les cascades de Tanougou. Ce mode de transport nous donne une toute autre approche des gens et du paysage, nous mesurons d’autant plus toute l’étendue de l’accueil des villageois qui nous arrêtent pour discuter sur le bord de la piste.
Dans un village, je me reposais, adossé à une maison en torchis pendant que Alain visitait le marché. Le père de famille est sorti de sa maison pour me demander le plus simplement du monde d’épouser sa jeune fille ! A l’époque, (que j'étais naïf!) je n’avais pas compris l'équation simpliste que Blanc = dot = avantages = ascension sociale, quand bien-même je n'étais qu’un petit blanc sec, à vélo, sans diplôme, en "chômage" volontaire en France et sans Sécu. Tout ce qu’il faut pour un beau parti, quoi ! Finalement, avec une tête de circonstance et plein de précautions, je déclinais son offre, non sans lui avoir fait des compliments sur sa fille que d’ailleurs je n’ai jamais vue.
Un autre jour, sur une route poussiéreuse en tôle ondulée, nous fûmes surpris par un orage et une pluie diluvienne. J’avisais dans un champ, près de la route, ce que je croyais être une cabane de jardin en terre. Quelle ne fût pas ma surprise d’y voir toute une famille vivant dans ce qu’il faut bien appeler une maison. De plus, impossible de communiquer, ils ne parlaient pas un mot de français. (je devrais plutôt dire que c'était moi qui ne parlait par leur langue)
Il m’a semblé un instant que j’étais au bout de la misère : maison en terre, pas une trace de mobilier, pas une seule fenêtre, juste un semblant de poêle avec un trou pour la fumée. Le père, dans sa blanche barbe, m’a souri, ne m’a pas proposé de contrat. Il m’a semblé être au bout du bonheur, au sommet de l’accueil de la part de quelqu’un, sans rien à offrir ni l’un ni l’autre. J’étais rentré chez lui, comme dans un Abribus, pour me protéger de la pluie.
Vingt ans après ce voyage, c’est encore un de mes meilleurs souvenirs. Nous nous quittons tout sourire.
Je retrouve Alain. Celui ci, très prosaïquement, avait sorti la savonnette pour se laver et profiter ainsi de la pluie torrentielle !
Un peu plus tard, le vélo se cassa : près du pédalier, la soudure de la fourche du cadre avait lâché. Je mis le vélo sur la galerie de l'autobus (l’unique bus de la semaine) et me rendis à la ville la plus proche pour faire réparer la soudure, sans problème... Ce qui n’était pas prévu : personne pour faire une soudure ! mais si je pouvais attendre deux-trois jours, ou plus, il y aurait un gars qui, en principe, passerait avec deux bouteilles et un chalumeau, et j’avais intérêt à ne pas le louper, car c’était une fois par mois ! En effet, il vint avec son attirail et il y avait foule!
Le voyage reprend et nous flânons ainsi sur 1000 kilomètres à vélo au Bénin et au Togo.
Nous avons des souvenirs plein les narines, plein les yeux et plein l’estomac, car nous mangeons bien ! des fruits et légumes, de la viande et surtout de la purée de patate douce, des mangues de toute sorte, des grenades. Et sous les tropiques, un fruit est un vrai fruit, et pas une chose bizarre sans goût, mûrie en fond de cale.
J’ai aussi le souvenir d’avoir pris froid car la température était passée sous la barre des 25° la nuit !
Au Bénin, j’eus l’occasion d’être invité dans la case d’une famille musulmane. On a discuté de plein de chose, de la vie en Europe et la montée du chômage etc... ainsi que de la vie au Bénin, la progression de l'islam en Afrique Noire. A la fin du repas, ils m’offrent de la bière de mil et quand j’eus fini le bol, je jetais sur la terre battue le précipité de la bière, les petites saletés qui restent au fond d’un bol... Ils me demandèrent : "Toi aussi, tu donnes à boire aux ancêtres ? !" On venait de parler de religions chrétienne et musulmane et je faisais à leurs yeux un acte religieux animiste ! Je bredouillais comme pour me défendre : "non ! non! il y avait des saletés au fond du bol !"
Autant dire qu’après cette parole encore plus malheureuse, je ne savais plus où me mettre et suis vite parti, confus !
Un autre jour, trois femmes m’invitent en rigolant à battre le mil. En moi-même, je pense que ce n’est pas bien compliqué de prendre un bâton de 1.50 m et de moudre le mil, en cadence avec les autres ! Tintin, je devais vite renoncer, incapable de tenir le rythme !
Je pourrais ainsi raconter plein d’anecdotes de ce genre, et partout il en ressortirait la simplicité dans les rapports humains, dans la façon d’aborder ses voisins. Par contraste, je me sentais particulièrement compliqué et coincé dans ma peau de blanc.
Un exemple parmi d’autres :
Dans un petit village du Benin, je reçus une leçon : j’étais accompagné d’un gamin qui me guidait, et/ou qui voulait se montrer en ma compagnie (au choix) A midi et demi, je le vois qui commence à tourner en rond autour d’un marchand de poulet frit. Bien sûr, je propose de lui acheter un pilon, mais il refuse. C’est donc sans scrupule que je m’en achète un et que j’attaque le morceau. Je le vois qui tire une drôle de tête :
-Ben, qu'est ce qui se passe ? je suis prêt à t’acheter de quoi manger et tu n’as pas voulu...
-C'est pas la cuisse de poulet que je veux, c’est partager avec toi le même morceau.
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