En cette période où l'on se penche sur mai 1968, ses faits et ses effets, nous avons choisi de publier en chapitres le récit d'un voyage de notre ami et associé Benoît Fichet.
Il avait 14 ans en 68 et avait humé l'air de la liberté. Arrivé à l'âge étudiant, il en a profité pour prendre le grand large, histoire de vérifier qu'après les pavés on pouvait trouver le sable du désert, les forêts équatoriales et des ailleurs passionnants. (France Apprill)
3) Le RETOUR
Cette maladie avait cassé quelque chose en moi. Je pris alors la résolution d’actionner l’assurance retour prise à Strasbourg. Au bureau du correspondant local, celui-ci me dit que la compagnie d’assurance avait fait faillite ! Malgré tout, j’étais désireux de rentrer : Il me restait 2000 F, de quoi vivre encore deux ans en Afrique dans la brousse ou alors de prendre un billet d’avion de Ouagadougou à Marseille Marignane.
Pendant les trois semaines de séjour à Ouaga, j’avais fait connaissance avec une jeune beauté américaine appartenant aux Volontaires de la Paix : elle était tombée en arrêt devant qui ? moi ? non ! devant le vélo anglais qui m’avait fidèlement convoyé sur la tôle ondulée pendant 1000 km : le gros phare, le carter de chaîne, tout le charme désuet de ce vélo l'avait séduite.
Quand elle sut que je rentrais en France, elle se dépêcha de me rendre visite à l’hôpital et je lui vendis le vélo 15 000 Francs CFA. La boucle était bouclée: je faisais une heureuse, ainsi qu’une opération blanche puisque je ne perdais pas un centime. Ce vélo, à cette heure-ci, roule peut-être quelque part aux États-Unis.
En sortant de l’hôpital, il y eut une petite fête qui devait durer toute la nuit. Comme j’étais encore très fatigué, je n’ai pas pu en profiter. Pour un oui ou un non, on se réjouit très facilement.
Pendant la fête, un jeune écoutait France Inter International débitant des infos sur une grève en France, le personnel réclamant une hausse de salaire. Le jeune me fit remarquer qu’avec cette hausse mensuelle, il pourrait manger un an en Afrique...sans commentaire...
Parfois avec Alain, nous avons rencontré et déjeuné avec des coopérants français ou européens. Nous avons vu combien ces gens vivaient en vase clos, allant au supermarché pour Européens, dépensant des fortunes pour vivre à l’européenne, ne se distrayant qu’entre eux. Ca finissait d’ailleurs par sentir le rance. Je passe sur le train de vie fastueux des gens de l’Onu ou de l’Unicef.
Nous nous sommes sentis complètement étrangers à ce mode de vie.
Enfin, le moment du départ arrive. J’appris au dernier moment que l’assurance me rembourserait le voyage jusqu’à la maison. Ne le sachant pas, j’avais donc pris un billet jusqu'à Marseille. Évidemment, toute notion de l’heure a disparu ! Il y a bien un avion vers 11h00 du matin... et où se trouve l’aéroport ? Pas de problème, agissons à l’africaine : J’avise une jeune blanche dans sa Jeep, et le plus simplement du monde je lui demande de me conduire à l’aéroport ! C’est donc par le plus grand des hasards que je suis arrivé une demi-heure avant le décollage.
Après l’escale de Niamey, en 30 minutes nous sommes à 10 000 mètres d’altitude, et une heure après, nous dépassons Alger. J’avais mal au cœur de rentrer si vite, il m'avait fallu quatre mois pour descendre et une heure trente pour le retour.
Certes, vu du ciel, le désert, le découpage des côtes est splendide. A 10 000 m, on peut voir les nuages de poussières soulevées par les voitures ainsi que le sillage des petits bateaux.
Dans l’avion, j’étais toujours en djellaba bleu ciel avec le chèche noir autour du cou ! Je ne réalisais pas que je rentrais en Europe. A Marseille Marignane, derrière la barrière des douanes, ma chère mère m’attendait, venant de chez nous avec des habits européens...
Sans réaliser qu’il y a aussi des douanes, je m'approche d'elle et lui donne par-dessus la grille, un sac rempli de souvenirs africains sous le nez des douaniers ! Évidemment, en passant la douane, je n'avais plus rien à déclarer !
Tout me paraissait si simple dans les rapports personnels en Afrique que je fus déboussolé de renouer avec la complexité et le désordre mental européen, de retrouver la peur de l'autre, la peur de la vie tout simplement. (J'aurai vécu plus longtemps en Afrique,je n'aurai surement pas la même approche)
Pour autant, il ne faut pas mettre la vie africaine au pinacle, car comme en Europe, il y a encore beaucoup à faire pour le respect de la dignité humaine.
La suite des événements devait donner raison à ce retour : à la maison, je déclarais une jaunisse carabinée, qui m'assomma plusieurs jours. Je ne sais pas comment j'aurais été soigné en Haute-Volta.
FIN du Récit
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